Portrait maladroit et caricatural de la prépa

Attention, on spoile ! (mais on ne se poile pas beaucoup, quoique...).


Le coefficient binomial k parmi n vaut... 0.1365 ! (extrait de la BA du film)

Qu'il est difficile d'écrire à propos de ce film lorsque l'on a nous-même fait une prépa MPSI !


Pareil exercice implique de penser et de repenser aux éventuelles critiques qui pourraient nous être adressées. Je m'attends à des "oui, mais votre expérience était différente", "vous ne l'avez pas vécu pareil", "c'est plus difficile dans ce cas", etc. Qu'on se le dise d'emblée : je ne m'attendais pas à retrouver l'expérience de ma prépa dans ce film, c'est de toutes les manières impossible car elle dépend éminemment de nos professeurs, de notre cadre de vie, de notre contexte scolaire, etc... Des éléments qui, on s'en doute, varient d'une personne à l'autre. Et évidemment et avant qu'on me le dise, le film n'a pas non plus vocation a être documentaire.


Me voilà cependant face à un constat : si le film ne manque pas de technique et qu'il est (plutôt) bien réalisé, un certain nombre d'éléments viennent en parasiter mon appréciation. Même si je sais qu'il s'agit d'une fiction, et que condenser deux ans de vie en deux heures demande nécessairement de grossir des traits, d'aller à l'essentiel, d'oublier ou de simplifier certaines choses, je persiste et signe : non, la prépa, cela ne ressemble pas à cela.


Et quel dommage ! Quel dommage car le film semble fait avec toute la bonne volonté du monde. Les acteurs sont investis, la technique est là, le tout a un message fort à faire passer, mais les petits détails prennent le dessus et semblent démontrer un manque global de finition ou de recherches poussées.


Quel dommage, donc, que les recherches graphiques pour le logo personnalisé des MP* (sur leur sweat dans leur dos) se soient arrêtés à un pi blanc sur fond vert, quel dommage que les taupins parlent (uniquement) lutte des classes et concours à table, quel dommage que les professeurs de mathématiques et physique rendent les copies de la même façon (rien ou presque ne les différencie) en annonçant la note à voix haute, quel dommage qu'il ne soit fait aucune mention de l'anglais, du français, de l'informatique, des sciences de l'ingénieur (des matières au programme en MPSI qui peuvent faire la différence sur un classement final), quel dommage que le film soit si manichéen (les riches d'un côté et les boursiers de l'autre me fait plus penser à Metropolis ou à du Bong Joon-ho tant leurs traits sont grossis voire grossiers), quel dommage que la professeure de physique soit si tyrannique sauf dans une scène de fin d'année où elle distribue des shots d'alcool fort (?), quel dommage que Sophie veuille intégrer l'X pour des motifs si flous, et quel dommage qu'elle l'annonce à l'équipe pédagogique dans une scène aussi forcée (par ailleurs les élèves n'assistent pas que je sache à leur conseil de classe en prépa), quel dommage que les écoles de concours plus modestes (CCINP, Petites Mines, voire écoles des Grandes Mines ou de Centrale n'étant pas Les Mines ou Centrale-Sup) soient purement et simplement ignorées, quel dommage que certaines scènes soient si chantées (l'arrivée du "président" (?) de la MP* ou l'élection des délégués - fondamentalement secondaire en prépa d'ailleurs), quel dommage que les colles soient si caricaturales et toujours conduites par le même professeur (dans la réalité, la prépa en question fait souvent appel à des "colleurs", des professeurs ou anciens élèves rémunérés), quel dommage que la scène chez Hadrien (avec un H, parce que sa maman aime bien Yourcenar) soit si clichée avec musique classique en fond et milliards évoqués à table, quel dommage que le scénario utilise des prétextes si gros (voire lourds) pour faire avancer son récit (le frère se battant soudainement à Lyon la veille des concours blancs, et le père avouant à sa fille qu'il a voulu être maçon en passant par hasard sous un pont pour lequel il a ouvré), quel dommage que l'exercice servant à montrer que Sophie est forte en mathématiques au début du film soit une simple application numérique (le garçon au tableau ne connaît simplement pas son cours, il n'y a aucune richesse ou subtilité mathématique dans le raisonnement demandé), quel dommage que l'année à la fac de Sophie ne soit pas du tout montrée (même si ce n'est pas, j'en conviens, le sujet du film), et enfin, quel dommage que le premier échange fait à l'X soit (peu ou prou) : "- Salut ! - Salut ! - Toi, tu viens pour l'argent ou le pouvoir ?" qui fait plus pouffer qu'autre chose.


Facilités scénaristiques mises à part, je n'ai jamais observé aucun de ces comportements ou bizarreries en MPSI/MP(*). Peut-être ai-je eu de la chance ? Je ne sais pas. Ce que je sais en revanche c'est que je ne suis pas un ardent défenseur de la prépa, loin (très loin) de là, et que j'aurais aimé voir un film soulignant ses limites et ses dangers avec plus de subtilité.


Ces incohérences fiction/réalité ne convoquent que des clichés et n'apportent que trop peu de profondeur au film.



Bref, à vouloir parler de sujet trop variés, La Voie Royale semble s'être brûlé les ailes, et finit malgré toute sa bonne volonté par s'engouffrer dans le préconçu, voire la caricature. Si la technique et le jeu d'acteur sont là, le tout comporte trop d'inexactitudes sur la prépa pour en faire un porte-parole suffisamment satisfaisant ou émotionnellement prenant. On ne peut cependant pas retirer au film sa plus grande qualité : parler d'un sujet aussi sensible. Il aura essayé.

4/10

Dinopoulet
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le 8 sept. 2023

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Ned Rawlins

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