Les actionnaires de mon cerveau se disputent encore pour le choix du titre de cette critique
La Voix de son Maître, c'est une heure et demie où Gérard Mordillat et Nicolas Philibert donne la parole à douze patrons. Vous me direz qu'il suffit d'ouvrir n'importe quel journal ou de zapper sur n'importe quelle chaîne pour les voir se vanter. Certes.
Mais contrairement à n'importe quel entretien ordinaire chez nos chers médias traditionnels, la parole de ces chefs d'entreprise est livrée comme ça, brut de pomme, sans qu'une voix off approuve ou contredise les propos tenus. Tour à tour, ils parlent de leur joie de se faire appeler patron, de la nécessité d'avoir un chef, de ce dramatique moment qu'est pour eux le licenciement, des conflits avec les syndicats, importants mais blessants pour ces gens qui pensent sincèrement que leur gestion est bonne, tout ça sans qu'on remette en question une seule fois leur sincérité. Au spectateur de forger son opinion à l'écoute de ces touchantes tranches de vie.
Sans déformer les discours émis, les deux réalisateurs ne sont pas totalement en retrait. Rien que par le choix du titre, ils arrivent à provoquer une discussion entre nos douze "gagneurs". La Voix de son Maître ? Non, ça donne trop l'idée d'une relation entre un chien et son maître. Par contre, Oui Boss, ça va, c'est paternaliste comme pas possible, mais on oublie le côté toutou. Cette scène initiale m'a personnellement tordue de rire (contrairement au reste du film qui m'a fait râler et ironiser, ça compense), tout bonnement parce qu'ils se montrent dans tout leur ridicule, jouant sur la sémantique pour pondre un titre risible qui n'était pas prêt d'être choisi de toutes façons.
Jusqu'ici, je me suis pas mal intéressée à la forme et j'ai ri de nos protagonistes, mais mine de rien, ils délivrent un fond assez intéressant. On touche à la fin des années 70 et nous voilà ici à une charnière économique, se balançant entre les Trente Glorieuses et le monde tel que nous le connaissons. En gros, La Voix de son Maître est un excellent prequel de ce dans quoi l'on se baigne aujourd'hui, ce qui le rend tout aussi digne d'intérêt de nos jours qu'à l'époque où il a été tourné.