It's 10 pm, do you know where your children are ?

Il est toujours difficile de juger un remake : pur copier-coller ou relecture d'une même œuvre ? Il est encore plus difficile de juger un remake d'un film qui est votre préféré et qui, à la base, est lui-même adapté d'un roman. Dans le cas de Laisse-moi entrer, j'ai tout fait à l'envers : vu le remake, vu l'original, puis lu le livre. Le prisme de la première découverte entache peut-être alors mon avis sur ce film qui, sans être à la hauteur de Morse, n'en demeure pas moins plaisant.


Laisse-moi entrer apporte peu quant à l’œuvre originale, et si vous deviez choisir entre les deux films, je vous conseillerais de vous ruer vers Morse, dont le charme sanglant, l'authenticité horrifique et la poésie morbide – tout ce qui fait sa beauté glaciale – sont édulcorés. A vrai dire, Matt Reeves se contente pendant la grande majorité de la durée du métrage de reprendre des scènes du film de Tomas Alfredson plan par plan, ne modifiant presque pas les dialogues et n'insufflant que très peu d'originalité à l'ensemble, qui ne pourrait être qu'une version américanisée du chef d’œuvre suédois.


En fait, Laisse-moi entrer est tout à fait dispensable, et Alfredson l'a même taclé à sa sortie en déclarant que «les remakes devraient être faits à partir de films ratés ou peu réussis, cela permettrait de régler ce qui ne fonctionnait pas dans l'original » : or, Laisse-moi entrer n'est qu'une reprise américaine, avec tout ce que cela implique de popularisation d'une œuvre minimaliste et peu appréciée à sa sortie en salle. Bref, une révision dont on aurait pu aisément se passer, si elle avait été dénuée de charmes.


Laisse-moi entrer n'apporte en effet pas grand chose de neuf, ne revisite pas l'intrigue originale depuis un certain point de vue qui, dans l'idéal, aurait su retranscrire la vision d'un réalisateur qui différerait de celle de celui s'étant emparé (ayant même transcendé) l’œuvre en premier. Plutôt une occasion saisie au vol, un moyen de se faire du fric sans trop se mouiller ? Et pourtant, ce remake ne m'a jamais mise hors de mes gonds, j'ai toujours pu l'apprécier avec un regard différent que celui porté à Morse, parce qu'il semble évident que Matt Reeves ait voué la même admiration que tant d'autres à ce dernier et que son film tente simplement et maladroitement d'en retranscrire la beauté dans un language plus accessible, dynamique, rythmée. Essayer de rendre populaire ce qu'on a marginalisé, dans une démarche plus noble que commerciale (du moins l'ai-je ressenti de la sorte).


Les prénoms changent, Oskar devient Owen, et Eli, elle, Abby (meilleur rôle de Chloë Moretz so far, avec Hit-Girl) – annihilant par ailleurs toute l’ambiguïté sexuelle du personnage – et le décor est transposé d'une banlieue de la capitale suédoise au Nouveau-Mexique. L'époque – et c'est l'un des points les plus intéressants du film – n'est plus la même : l'intrigue se déroule ici dans les années 80 (style vestimentaire, Reagan apparaît à la télé, la BO se compose de tubes de Bowie et de Culture Club).


Or, Matt Reeves, comme son ami de toujours JJ Abrams, est un enfant des 80's, fan de Star Wars et de Spielberg. La décennie dans laquelle il a choisi de situer son intrigue n'est pas anodine, et rend son film étrangement touchant, lui insufflant une dimension beaucoup plus personnelle. Cette histoire aurait fonctionné dans les années 80, reprise par un Richard Donner ou un Joe Dante : celle d'un petit garçon s'amourachant d'une créature de l'inconnu, venue d'ailleurs.


Laisse-moi entrer s'inscrit dans la lignée des E.T et Explorers, à la différence près que Reeves la mène vers des sommets de tragédie horrifique, dramatique, et où cette histoire d'enfance funeste et pervertie est narrée à travers le regard d'un adulte à l'historique mortifère. S'il n'a pas l'ambiance cotonneuse et presque sale de Morse, qu'il aseptise totalement, Laisse-moi entrer sait donner vie à la sienne, quelque chose de familier.


Le véritable défaut que je peux lui imputer, c'est cet espèce de rationalisme – ou indélicatesse – américain(e) qui voudrait qu'on donne des explications à absolument tout ce qu'on ne peut pas comprendre, ou définir. Là où Morse avait l'intelligence de suggérer avec une infinie et subtile contemplation, une lenteur dans la narration, et très peu de dialogues (un film dont on se rappelle en fait comme silencieux), Laisse-moi entrer fait l'erreur qu'avait soigneusement éviter son prédécesseur d'intégrer à l'intrigue le point de vue d'un policier en pleine enquête sur les massacres perpétrés par Abby (personnage présent dans le livre, mais remplacé par un ami de l'une des victimes dans Morse), et d'en rajouter dans la (sur)démonstration en remplaçant les choix visuels d'Alfredson par des incrustations numériques dégradantes (les yeux d'animal doublés de volume du visage vampirisé d'Eli prennent une teinte brillante de félin chez Abby).


Cela donne lieu à une recherche de rationalisation à tout prix des faits qui, dans une autre mesure, gagnent à n'être abordés qu'implicitement et non aussi frontalement qu'ici, puisqu'on ressent un raisonnement relevant du puritanisme religieux – la mère ultra-chrétienne, les questions que posent Owen à son père sur le bien et le mal – qui montre une volonté d'engager un questionnement chez Owen autour d'une possible possession démoniaque d'Abby.


Bref, un remake pas inintéressant, plus destiné à ceux n'ayant pas apprécié l'original dans toute sa splendeur, ou aux éternels amoureux d'un certain âge d'or du cinéma sur l'enfance.


Personnellement, mon cœur ne peut s'empêcher de se serrer quand je me remémore ma première découverte de ce film, et cette sensation que j'avais de braver les interdits (j'étais encore plus facilement effrayée qu'aujourd'hui) pour pénétrer un univers qui me semblait pourtant si familier.

Lehane
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le 22 août 2015

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