Assumer la lose et attraper les mous : double défi pour le catéchisme révolutionnaire

C'est un des opus les plus cités de la carrière de Ken Loach, mais aussi un des moins représentatifs et des moins subtils. Il présente l'engagement d'un jeune britannique auprès des acteurs de la révolution sociale espagnole de 1936 (précédant la guerre civile s'achevant en 1939 sur la victoire des réactionnaires). Lassé d'être ici à toucher les allocs et écouter ses camarades syndicalistes refaire le monde, à une époque où l'Histoire est agitée ; David (Ian Hart) part à Barcelone rejoindre le front antifasciste, en faveur de la République, contre Franco et les nationalistes. Les affrontements se succèdent dans les campagnes en Catalogne, donnant lieu à des séquences pittoresques, pleines de gaudrioles et de noms d'oiseaux dans un premier temps, plus malheureuses, cruciales et futiles à la fois par la suite.


Le film sera le récit d'échecs successifs, ou au moins de demi victoires amères. Le gouvernement de Valence mené notamment par les communistes, plus qu'un allié ou un éventuel concurrent (supérieur car tenant les armes et le pouvoir politique), s'avère rapidement un ennemi pour le POUM (la participation de ces anarchistes à un gouvernement étant un cas singulier, pour partie responsable de l'affolement des droites). Sous emprise stalinienne, les Brigades Internationales présentent le POUM (interdit dès 1937) et les autres anarcho syndicalistes acteurs de la révolution comme des fascistes sociaux (« hitléro trotskystes ») et des fauteurs de trouble. Cette propagande occupe cependant le second plan, l'Histoire étant abordée par le biais des pérégrinations de ce David, dont les illusions et l'adhésion aux Brigades tourneront court.


La photo, la mise en scène, le développement, sont beaucoup plus lisses que les autres opus signés Loach (Kes, Family Life, Sweet Sixteen). D'ailleurs la façon d'introduire le sujet (flash back partant de la petite-fille face à son grand-père mourant) renvoie à ces biopics de prestige ou des familles (et souvent les deux confondus) des années 1990/2000. Le travail de Loach n'est pas mielleux, totalement dévitalisé ou obséquieux comme les films historiques américains sortant à l'époque (tenant plus du thriller aux bouillonnements factices – Mississippi Burning est un cas d'école), mais presque aussi innocent. Land of Freedom ne fait qu'illustrer des généralités sur l'Histoire, y compris ces confrontations mortifères entre anarchistes et communistes, dont il ne tire que la matière à des épanchements théoriques ou tire-larmes.


La séance est agréable, comme un travail de journaliste ou un documentaire compassé, flattant des besoins en représentations folkloriques ou en collecte de données exploitables en deux circonstances : travaux scolaires ou substitut à quelques schémas sur des nuances de gauchismes. Une longue séquence met en relief la culture du débat propre aux anarcho-collectivistes et aux révolutionnaires de 1936 ; un joli moment, didactique jusqu'à l'os, permettant un superbe mais aussi très superficiel éventail de points de vue. Où l'idéal démocratique permet d'apercevoir une synthèse sans avoir aucune incidence (autre que symbolique) sur le programme d'action prévu. Loach souhaitait sans doute inspirer autre chose, mais son film ressemble à des diapositives savantes et tout public bonnes à égayer les musées. Malgré tout il se distingue en montrant comment un camp (progressiste ici) peut se flinguer lui-même ; les antagonistes 'profonds' sont dans toutes les bouches, leurs apparitions à l'écran discrètes (presque des variables obscures).


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le 7 déc. 2015

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Zogarok

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