Veuve, Magdana vit avec ses trois enfants dans un hameau paysan quelque part sur les hauteurs, en Géorgie. Pour assurer la subsistance de sa famille, Magdana (Doudoukhana Tserodze) va en ville vendre du lait caillé à des ouvriers, parfois à des femmes qui se contentent de discuter le prix de leur fenêtre et ne font même pas l’effort de descendre dans la rue pour payer leur achat. Le mépris est aussi dans leurs paroles.


Dans le même temps, on suit le parcours d’une colonne menée par Mitua (Akaki Kvantaliani), un homme qui fait du transport avec des animaux et quelques hommes. Chez ce chef de troupe, on sent une agressivité qui se manifeste aussi bien vis-à-vis des animaux que de ses hommes. Quand un âne s’écroule une nouvelle fois, un coup d’œil lui suffit pour décider que l’animal n’est plus bon à rien. Le tenant pour mort, il ordonne qu’on jette sa dépouille dans le ravin. Bizarrement, personne ne se décide à appliquer son ordre, alors que l’âne ne donne plus signe de vie. Finalement, les hommes préfèrent l’abandonner ainsi, comme s’ils pensaient avant tout à ménager leurs efforts. C’est ainsi que des enfants tombent sur l’animal. Après pas mal d’agitation (de leur côté), ils observent enfin de minces signes de vie. Malgré les exhortations du maire qui les observe de loin, ils décident de ramener l’âne dans le village, celui de Magdana (ses enfants font partie du groupe). Ils s’acharnent à rendre de la vigueur à l’âne, malgré une certaine maladresse (ils sont beaucoup à l’encourager par des sortes de bourrades, dans l’eau chacun y va de son coup de brosse, etc.)


Bientôt, l’âne est de nouveau en état de transporter des marchandises. La vie de Magdana pourrait s’en trouver transformer, puisqu’elle pourrait l’utiliser pour transporter le lait qu’elle vend. Elle pourrait rentrer chez elle moins fatiguée, voire rentrer plus tôt. Les rêves vont vite, puisque des voisins vont jusqu’à lui demander si elle ne pourrait pas aussi faire transporter leurs marchandises par cet âne.


Toujours est-il qu’à la ville les choses ne vont pas tourner comme elle l’espérait…


Malencontreux hasard, Magdana tombe sur Mitua, l’ancien propriétaire de l’âne qui va la faire passer pour une voleuse. Submergée par la vigueur du discours, l’infériorité de sa condition sociale et l’impossibilité de défendre sa cause, elle va devoir abandonner l’âne. Les éléments s’en mêlent, Magdana devra rentrer de nuit sous une pluie battante.


Daté de 1955, ce film du géorgien Tenguiz Abouladzé est probablement visible sous différentes versions plus ou moins longues. La version que j’ai vue en salle est annoncée faisant 1h07 alors que le film a été primé à Cannes en 1956 dans la catégorie court-métrage. Peu importe sa réputation, car le film devient une vraie rareté qu’il serait dommage de négliger, malgré une certaine naïveté dans le propos. Le scénario lui-même fait penser à l’adaptation d’un conte. Ainsi, les actions et réactions de Mitua sont toujours très outrancières, théâtrales. Difficile de dire si l’observation peut caractériser le cinéma géorgien de l’époque. L’image en noir et blanc est de qualité, elle accuse néanmoins son âge (on sent le petit budget et des moyens techniques limités).


Grâce au sens de la composition dramatique du réalisateur, le spectateur suit une intrigue bien construite qui évite les temps morts, avec de réelles surprises car l’âne fait très bien le mort par exemple. D’autre part, la ville est filmée de façon à ce qu’on sente l’atmosphère qui y règne. Au vu du minutage, c’est assez remarquable.


Le misérabilisme de la vie de Magdana peut éventuellement être vu comme une facilité, mais il semble tout à fait plausible, pas moins exagéré que ce que montrent certains films plus connus, voire par exemple du côté du néo-réalisme italien. Le thème qui émerge est celui de la violence. Celle de Mitua le cupide trouve ses limites avec la compassion manifestée par les enfants, dont ceux de Magdana qui bénéficient de l’éducation qu’elle a réussi à leur donner. On remarque que la violence peut émerger à tout moment, voir cette séquence qui fait mal avec deux chevaux attachés qui s’accrochent parce que trop près l’un de l’autre et qui se débattent au point de se blesser cruellement (il faudra une intervention humaine pour éviter le pire). Séquence marquante (parenthèse dans le scénario) à valeur symbolique : dans bien des situations la violence est latente, gare à ne pas la déclencher gratuitement.


Malgré une morale un peu simpliste et un jeu parfois outrancier, L’âne de Magdana est un film qui fait son effet et mérite sa place dans l’histoire du cinéma en apportant un témoignage rare sur la Géorgie.


Film vu le 8 février 2017, au 23è FICA (Festival International des Cinémas d’Asie) de Vesoul, où j’étais invité sur proposition de SensCritique. Merci à SensCritique et à toute l’équipe du FICA !

Electron
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le 7 mars 2017

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