Avec Blackaria, Last Caress puis le court-métrage Die Die My Darling, François Gaillard et Christophe Robin se sont insinués depuis quelques années dans le paysage du bis & Z français pour tenter de donner d’accomplir un rêve : matérialiser un film glam gore, accoucher enfin ce style qui semble se profiler partout mais n’a jamais encore existé en tant que tel. Si on partage ce vœu, leur cinéma d’exploitation purement graphique est théoriquement un cadeau inespéré ; mais il n’y a rien de pire que lorsque les désirs se trouvent confrontés à l’échec.

Blackaria était un coup d’essai passionnant, un peu grossier et naturellement désuet, mais la séance réjouissait, pour un peu que le spectateur venait s’en prendre plein la vue et partageait quelques lubies de geeks cinéphiles. Last Caress est son prolongement au rabais, où le tandem se contente d’imiter l’ambiance et les manières du giallo et du murder-movie italien des 70s, sans jamais en capturer l’essence. Si Blackaria était bancal et personnel bien qu’un peu raide, Last Caress est raté et stupide bien que totalement forain.

Autour d’un château isolé en campagne, Last Caress se déroule en trois temps : d’abord, une exposition assez longue et sanguinolente ; ensuite, un rassemblement de jeunes adultes, prose classique mais dans un cadre chic et choc ; enfin, sur la dernière demie-heure, un jeu du chat et de la souris entre la dernière fille du groupe et le tueur ganté ; puis un duel entre ce dernier et une ressuscitée. Le problème, c’est le liant autant que le suspense. Il n’y a aucune montée de tension dans Last Caress et les meurtres se déroulent tout le long de ce simulacre de teen-movie. Le mystère est également absent, tout comme la chair de ce contexte : pour tout concept, une pitoyable histoire d’ancêtre au travers d’un tableau de supermarché. Enfin et surtout, le résultat sur les personnages est plus nuancé, car les réalisateurs savent profiter de leurs caractères étranges ou décalés : ils fabriquent ainsi des individus à la fois anachroniques et inédits, dont les réparties caricaturales sont profitables, car sur ce terrain de l’absurde, l’étincelle n’est pas loin. De même, la bande des cinq s’invitant au château est servie par de bons acteurs, quoique François Gaillard mette plus de temps à donner le change. En revanche, l’excentricité recherchée ne saurait légitimer les prestations des deux mortes de la séquence d’ouverture ; à ce niveau de non-jeu, on regrette la Macha Méril dans Profondo Rosso !


La démarche est généreuse et Last Caress joue des citations en s’en prenant directement aux meilleurs et de façon évidente : Ténèbres, La Baie Sanglante (l’exposition) ; mais aussi probablement, Opéra (la porte trouée) et Hellraiser II (la petite galerie de femmes suspendues au grenier). Tout ça est bien gentil, mais il faut aussi un minimum de sens et de sujet pour pouvoir déverser ainsi toutes ces outrances ; au moins, la construction d’un méta-language. Les défauts du film et tous ses manques n’en sont que plus visibles. Parce que Last Caress n’a tout simplement aucun souffle ; et ses auteurs, aucune subtilité. Ils ne trouvent la grâce et l’efficacité que dans l’épanchement esthétique – mais même là, ils ne savent pas accompagner les morceaux de bravoure. Une esthétique, ce n’est pas juste les images, c’est aussi le monde qui la contient et la définit.

Et cette absence d’intuition, de rythme, se traduit par une ingéniosité quasi nulle, ainsi qu’un échec sur deux terrains majeur : d’abord, fondamental, l’érotisme ; ensuite, secondaire et nouveau par rapport à Blackaria, l’humour. Ses digressions échouent, parce que les auteurs semblent étrangers à toute compréhension émotionnelle, même la plus prosaïque ; la nature du pastiche graphique leur va bien puisqu’il ne savent pas donner un autre relief à leur sujet, les personnages et dialogues ne sauraient donc être autre chose que des arguments de papier trouvant au mieux une chair propre et fidèle. Par contre, sur certaines lancées, des scènes ubuesques se dessinent, avec quelques échanges nanardesques soignées.

Dans l’ensemble, le tandem ne semble bon qu’à accumuler ces extraits d’ultra-violence ; le film est excessivement gore et sanguinolent, sans aucune ampleur et avec ce fétichisme discount (le tueur rital ici présent est une vignette bien lourde). Il offre quelques scènes surprenantes avec les visions de l’ancêtre martyr, mais jusque-là il gâche toute la matière érotique, tant le geste est lapidaire. La sensualité n’est pas le fort de Gaillard et Robin, pourtant c’est la manne présumée. Même la BO de Double Dragon est gâchée, tellement mal employée qu’au lieu de rappeler les Gobelins elle ressemble à un reformatage de trance de supermarché. C’est malheureux, mais le meilleur est dans le trailer. 1h10 seulement : voilà une des meilleures idées ! C’est facile et méchant, mais ce n’est pas trop cher payé après un spectacle aussi décevant et paresseux, se reposant sur ses lauriers (décors) pour accoucher d’une atmosphère totalement vacante. Les filles d’à côté passent à la machette. Du pittoresque raté.

http://zogarok.wordpress.com/2014/07/14/last-caress/

Voir aussi Blackaria : http://zogarok.wordpress.com/2014/03/01/blackaria/
http://www.senscritique.com/film/Blackaria/critique/25871814

Créée

le 20 juil. 2014

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Zogarok

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