Dans son autobiographie, Gene Tierney écrit qu'elle n'a pas gardé beaucoup de souvenirs du tournage. Déjà quelque peu affectée dans sa santé, et enchaînant les tournages, elle ne se rendit compte du succès du film que longtemps après sa sortie.
Véritable ode à son actrice principale, le film commence sur un fait pourtant cruel : notre héroine est morte, tuée de deux coups de feu en pleine tête. Le cadavre étant méconnaissable, un détective vient mener l'enquête, autour de deux personnages essentiellement : le protecteur de Laura, un écrivain cynique cruel mais qui fut son pygmalion, et un playboy sans le sous qu'elle devait épouser par la suite. Principaux suspects jusqu'à ce que Laura réapparaisse, bien vivante, et à son tour suspecte.
Si la beauté et la grâce de Gene Tierney sont magnifiés par un noir et blanc rendu admirablement par les décors et les costumes, c'est tout de même Clifton Webb interprétant le très snob écrivain Waldo Lydecker qui crève l'écran. Principalement grâce à des dialogues donnant clairement le ton sur son personnage :
"Je n'utilise pas de stylo mais une plume d'oie trempée dans du venin"
"je ne suis pas gentil je suis vicieux, c'est ce qui fait mon charme"
ou encore à la question "êtes-vous finalement la personne la plus gentille du monde ?" il répond
"disons juste que je serais sincèrement désolé de voir les enfants de mon prochain dévorés par des loups".
L'enquête par la suite se recentre sur le détective, impeccable Dana Andrews (qu'Otto Preminger devait réunir avec Tierney à nouveau dans "Mark Dixon, détective") et les différentes pistes : Laura aurait-elle assassiné la maîtresse de son fiancé ? Est-ce lui ou une de ses maîtresses ? ou finalement ne serait-ce qu'une erreur ?
L'intrigue résolue dans les 5 dernières minutes ne parvient pas toujours à instaurer le crescendo voulu malgré un final qui parvient avec succès à vous donner quelques palpitations.
Définitivement associé à sa star, le film pourtant ne donne pourtant pas la mesure de son talent la gardant plus à un statut décoratif, central certes, mais peu actif, les personnages secondaires étant largement plus mis en avance : Vincent Price (avec lequel Tierney devait jouer dans "Dragonwick" et "Péché mortel") en dandy suave et intéressé, Judith Anderson (la glaciale femme de chambre dans "Rebecca")en maîtresse délaissée et bien sûr Clifton Webb parfait dans un rôle très proche de celui du "Fil du rasoir" avec Tierney encore.
Le paradoxe est plutôt amusant : un des meilleurs films de Preminger, un des moins intéressants avec Gene Tierney, dont le charisme et le talent éclatent plus dans des personnages antipathiques à l'image de ceux qu'elle interpréta dans "le fil du rasoir" ou l'excellent "Péché mortel". Néanmoins un classique du film noir.