[Série "Dans le top 10 de mes éclaireurs : Morrinson]

Belle trajectoire que celle qui ouvre le film : une ligne droite solitaire, vers la mort, sans tambours ni trompettes, suivie d’un enterrement où la légende peine à s’écrire : en Angleterre, Lawrence reste un mystère. De son histoire, on ne peut véritablement rien dire… Car « nothing is written ».
Lean ne pouvait pas mieux introduire son ode à l’épopée visuelle : ce ne sont pas les mots, mais bien les plans qui graveront dans l’histoire collective la geste d’un personnage hors norme, qu’aucun pays ne pourra s’enorgueillir d’associer la gloire au patrimoine national. Anglais, arabe, soldat, bédouin, colonel, tribal, Lawrence est unique, le produit d’une conjonction catastrophique, celle de l’Histoire mondiale, la guerre, et d’un lieu, l’Arabie.

Aux origines, donc, le désert. Désireux d’en affirmer la puissance, Lean commence par y perdre deux hommes, encerclés par les dunes, accablés par la chaleur. La beauté des plans, le temps pris dans les marches incessantes, l’ardeur de la lumière : avant même de lancer les combats, le film a pris son envol épique, renforcé par un thème musical grandiose et arabisant.
Lawrence d’Arabie est un grand film, et ne cesse de l’affirmer : parce qu’il traite du plan d’ensemble, de paysages infinis et d’une armée de plus en plus grande. A ce titre, l’arrivée des combattants dans Aqaba, qu’on voit se ruer dans la ville et déboucher dans les rues en un seul plan est splendide. Parce qu’il traite aussi d’un grand homme, et parvient à lui insuffler une complexité dans un récit qui joue souvent la carte de l’aventure bon enfant, où l’on se prend d’affection pour des enfants, on sauve ses vaillamment les siens, ou on les achève dans les larmes. Héros en devenir, Lawrence se grime progressivement, et se laisse porter par la foule qui l’acclame. Romantique, fougueux, impulsif, il ne reste pas pour autant le protagoniste d’une hagiographie. Alors qu’il se contemplait avec enthousiasme dans son costume de chérif, c’est éclaboussé de sang et hébété qu’il finit les combats. De la même façon, Lean oppose avec intelligence la coexistence des intérêts locaux et de la mainmise du capitalisme colonialiste. Pessimiste et sans illusions, le film s’articule autour d’une question essentielle : celle des applications possibles d’une volonté individuelle sur tout un peuple. Ivre d’un culte de la personnalité, Lawrence échoue dans la constitution d’une réelle gouvernance arabe. En cela, le contrepoint aux envolées échevelées d’un héroïsme qui fend la dune donne une réelle épaisseur au film.

Sinon, trois remarques :

- On notera le travail de restauration qui fait honneur au potentiel du Blu-ray : la copie est superbe.

- L’ajout de 21 minutes supplémentaires en 1989 (j’aimerais bien, d’ailleurs, savoir de quelles séquences il s’agit) n’est pas forcément une bonne chose. Le rythme souffre parfois de quelques essoufflements.

- Et tout de même, pour un film de 3h47, ça manque de gonzesses.
Sergent_Pepper
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le 5 oct. 2014

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