Le Château ambulant
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Le Château ambulant

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2004)

Il tient de l’euphémisme de dire qu’après Le Voyage De Chihiro, le studio Ghibli se trouve à un nouveau tournant de sa carrière. Si le public local et les fans d’animation de par le monde ont déjà dressé moult autels à la gloire d’Hayao Miyazaki et de son équipe, Le Voyage De Chihiro marque leur consécration au niveau mondial. L’ours d’or remporté à la 52ème Berlinale marquera le début d’une reconnaissance qui débouchera sur une tardive considération critique et un succès public retentissant. Le génie du studio est enfin reconnu par tous et les œuvres passées sont exhumées en bénéficiant de traitement à leur hauteur que ce soit en salles ou en DVD. Alors que la diffusion des Ghibli était jusqu’alors problématique entre irrespect envers l’œuvre originelle (Warriors Of The Wind/La Princesse Des Etoiles ou Nausicaä revu et corrigé par les « bons » soins de Roger Corman) et embargo culturel (faut-il revenir sur les japoniaiseries et autres cabales menées par Ségolène Royal dans notre bel hexagone ?), les films du studio sont désormais facilement accessibles au plus grand nombre. Une distribution massive qui se déroule dans le plus grand respect de leur auteur si on excepte un détail qui n’aura heureusement pas touché la France (les versions américaines proposent un score entièrement réorchestré par Joe Hisaishi, le service marketing de Buena Vista ayant jugé sa partition peu adaptée pour le public actuel). Bref, tout semble sourire à Ghibli. Les conséquences du succès, le studio y a déjà brillamment fait face et on peut aisément croire que celui-ci n’affectera pas son intégrité artistique. En deux décennies, le studio a maintenu un niveau exceptionnel de qualité et on peut difficilement croire que celui-ci va décroitre. La confirmation en est avec Le Château Ambulant où l’art de Miyazaki s’exprime à la puissance XXL.

Comme dans tous ses projets les plus ambitieux, ce qui frappe immédiatement dans Le Château Ambulant est son extrême ampleur. Après avoir exploité la mythologie japonaise pour Le Voyage De Chihiro, Miyazaki renoue ici avec ses influences européennes pour un résultat on ne peut plus grandiose. La finition des graphismes impressionne d’emblée par des compositions extrêmement détaillées et des scènes de foules d’une richesse sidérante. En ce sens, on note là un mariage absolument insurpassable d’animation en deux dimensions et d’infographie numérique. A l’époque de sa sortie, il était devenu très courant de rehausser l’animation à la main par des composantes générées par ordinateur. Disney avait clairement démontré les possibilités de cette technique lors de son retour en grâce au début des années 90 avec des œuvres comme La Belle Et La Bête ou Le Roi Lion. Toutefois, au fil des années, ce mélange a atteint un point de non-retour. Les styles ont tellement évolué que le mariage est devenu contre-nature et a conduit à un affolant état de cannibalisation. Un peu plus d’un an avant Le Château Ambulant, le studio Dreamworks avait sortie le summum de cette dégénérescence avec Sinbad – La Légende Des Sept Mers. Aussi sympathique pouvait être ce film d’aventure, il donnait la désagréable impression de voir un long-métrage d’animation en trois dimensions dans lequel s’étaient perdus des personnages dessinés. Miyazaki a toujours été sensible à la problématique et y fait très attention. Dès qu’il a touché les possibilités de l’infographie avec Princesse Mononoké et plus tard Le Voyage de Chihiro, il a parfaitement géré le mélange. Il mesure l’intervention de l’infographie et surtout le rendu des textures pour que celle-ci serve avant tout à donner plus de grandeur à la technique de base. Le résultat est un visuel d’une harmonie enchanteresse. Le Château Ambulant reste encore aujourd’hui une référence ultime en ce domaine et s’avère d’une telle perfection qu’elle rend compréhensible un retour drastique vers une animation entièrement à la main avec Ponyo Sur La Falaise. Ce soin de ne pas laisser le spectaculaire de la technologie de pointe prendre le pas sur une technique maîtrisée depuis des années était primordial par rapport à une histoire où l’impressionnant cède le pas à l’intime.

On peut considérer qu’il y a deux films dans Le Château Ambulant. Le premier serait une aventure prenant place dans une guerre entre deux nations. Bien que les batailles se déroulent avant tout entre de gigantesques machines volantes, des sorciers sont sollicités pour participer à l’effort de guerre. L’un de ces sorciers, Hauru, rejette lui cette guerre qu’il considère injuste et refuse de prendre parti quitte à se mettre à dos sa hiérarchie. On retrouve ici une tendance antimilitariste teintant déjà les précédentes œuvres de Miyazaki même si celle-ci sert tout d’abord à mettre en évidence la thématique d’une utilisation perverse de la technologie. En soit, cet aspect pourrait occuper tout le long-métrage. Mais il s’avère qu’elle n’occupe qu’une place peu importante du résultat final. Alors que ce fil conducteur offrait la possibilité d’offrir un grand récit plein de péripéties et d’action (il y aura effectivement quelques belles scènes de combats aériens), Miyazaki choisit de mettre en retrait ce contexte guerrier. Cette mise à l’écart lui permet d’accentuer le caractère absurde du conflit. Aucun des camps n’est ainsi identifiable clairement. Lorsqu’un vaisseau survolera le couple principal, l’héroïne demandera s’il s’agit d’un allié. Ce à quoi Hauru répondra que c’est sans importance. D’ailleurs, la raison du conflit ne sera dévoilée que dans les toutes dernières minutes. En choisissant de la traiter au minimum, Miyazaki fait de la guerre un concept opaque et presque abstrait. Ce choix peut désarçonner à la première vision car tissant un background difficilement appréhendable. A la revoyure, il se montre toutefois un choix pertinent permettant de se concentrer pleinement sur le second film, le vrai si on peut dire.

Celui-ci est bien plus passionnant et se joue à un niveau moins extravagant. Nous y suivons le parcours de Sophie, jeune demoiselle qu’une sorcière va transformer en vieille mamie. L’introduction la présente comme une jeune fille solitaire et distante. Une conversation avec sa sœur présente clairement son manque d’assurance et de confiance en elle. Ayant repris en main l’entreprise familiale suite au décès de ses parents, elle semble fort gênée lorsque sa sœur lui demande si c’est ce qu’elle veut faire de sa vie. La perte de sa jeunesse va forcément la pousser à reconsidérer ses priorités et à comprendre l’importance de choisir la manière de mener sa vie avant que celle-ci lui échappe. En fait, le sortilège qui lui a été lancé tient moins en une transformation pure et simple qu’en une représentation de son état d’esprit. Si Sophie devient une vieille femme, c’est parce qu’elle se comporte comme une vieille femme. Tout le long du film son apparence va ainsi varier en fonction de sa prise de conscience et de sa motivation. On notera ainsi qu’elle se montre plus vivace et enthousiasme sous sa forme âgée que jeune. Par ses efforts, elle peut se retrouver elle-même et donc acquérir le droit de laisser transparaître sa jeunesse. Elle peut alors retrouver son âge véritable, redevenir une mémé rabougrie ou plus imperceptiblement atteindre un stade intermédiaire de vieillesse. Le sortilège reste toutefois là et le moindre relâchement peut conduire à la dégradation de l’esprit et donc du corps. Par exemple, alors qu’elle avait retrouvé sa forme originelle, le rapprochement d’Hauru lors d’une confession la fera disparaître. Car la résolution se trouve tout autant dans une quête intérieure que dans l’accomplissement au travers de l’autre.

C’est d’ailleurs là la solution au sort jeté sur les personnages. Pour en être délivré, il faut que quelqu’un en perce le secret. Tout le film se construit donc autour des rapports se construisant autour du microcosme occupant le château. En rejoignant Hauru qui semble être à l’origine de ses problèmes, Sophie va participer à la construction d’une cellule familiale par laquelle elle trouvera sa place et pourra donc se retrouver elle-même. Le rapport à l’autre est la clé de sa quête identitaire. Celle-ci ne pourra être pleinement accomplie que si elle arrive à s’accepter elle-même mais surtout s’accepter envers les autres. Cela explique sa métamorphose dans le passage décrit plus haut. Cela explique également le comportement assez étrange d’Hauru tout le long du film qui semble avoir pleinement conscience du malheur de Sophie mais n’offre aucune solution sur un plateau. Il faut dire qu’Hauru a pleinement conscience des épreuves auxquelles fait face l’héroïne puisqu’il est dans la même situation. Se transformant chaque nuit en créature volante pour plonger dans l’enfer de la guerre, il prend le risque de ne plus pouvoir reprendre sa forme initiale et donc de perdre son identité. Tout comme Sophie, Hauru passe ainsi par toute une série de transformations physiques en fonction de son évolution. Une évolution plus énigmatique que celle de Sophie puisque le spectateur épouse avant tout le point de vue de l’héroïne. Il y a aussi le fait que le personnage se définissant comme un lâche, il montre un rechignement plus pressant à accepter le changement (il se décomposera littéralement lorsqu’une bête erreur de potion lui changera la couleur de ses cheveux). Là encore, la clé sera son rapport à l’autre et en l’occurrence sa relation amoureuse avec Sophie.

Le château du titre est lui-même l’expression de ce désordre identitaire qui doit être ressaisit. Gigantesque architecture faite de bric et de broc, le château est un assemblage complexe revêtant différentes apparences sans en avoir une propre. Une construction étrange qui tranche avec la magnificence apaisante des paysages montagnards dans laquelle elle se déplace. Comme souvent chez Miyazaki, cette nature sera d’ailleurs un moyen pour les personnages d’atteindre la paix intérieure loin d’un monde en proie au chaos. Car finalement, c’est là le centre d’une œuvre où l’envergure doit se mesurer à l’aune des bouleversements vécus par les personnages.
Courte-Focalefr
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le 19 janv. 2014

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