On ne dira jamais assez à quel point, pour le meilleur et pour le pire le couple Kurosawa/Mifune a été (et est encore un peu) l'image du cinéma japonais à l'étranger. Le chateau de l'araignée est peut être la quintessence de cette image à cause de l'importance donnée au nō par Kurosawa ici.

Souvent mal compris lors de sa sortie (voir la critique de Rohmer à l'époque...) par méconnaissance des codes certainement, mais aussi par manque de curiosité face à l'étranger (après tout, je ne suis pas un spécialiste du nō et je suis capable d'apprécier énormément ce que j'ai vu à l'écran), le film a mis du temps avant d'occuper la place qui lui est du dans le panthéon du cinéma.
Brillante adaptation, formellement d'une qualité remarquable (l'évanescente présence des esprits malins, la brume entêtante, la chambre du couple), jouée par de très bons acteurs certes, qui sont dirigés par un maître. Le film est une réussite complète.

Kurosawa ne se contente d'ailleurs pas de transposer Macbeth au pays des sushis. Il en modifie le sens et la portée de ses personnages. Washizu n'a pas la grandeur de Macbeth, il n'est qu'un pantin que manipule sa femme, dès lors que la traitrise est perpétrée, il perd tout charisme auprès de ses hommes et de ses anciens compagnons d'armes; Seule la bassesse de ces derniers lui permet d'accomplir la fameuse prophétie. tout lui arrive par accident, provoqué par sa crédulité, jamais il ne sélève au rang des titres qu'il glane. il ne tombera d'ailleurs pas lors d'un duel honorable mais criblé de flèches par ses propres hommes.

C'est l'ambition même des hommes qui est remise en cause, par les faits (le maitre de Washizu a tué son propre maître pour arriver au pouvoir, la nuit du meurtre Washizu et Asaji dorment dans la chambre d'un autre traître) et par le discours de l'esprit malin, qui au-delà de la prophétie constate que les hommes plutôt que de profiter de leur brève vie passent leur temps à sécraser les uns les autres pour le contrôle d'un fort, d'un chateau, pour se créer une lignée.
Ainsi, ne se contentant pas d'une adaptation cosmétique, mais faisant entrer les préoccupations des japonais de l'après-guerre, avec la remise en cause de l'ogueil démesuré l'état, et une orientation de nombreux japonais vers un syncrétisme entre shinto et bouddhisme.

Il y aurait encore des dizaines de choses à dire sur film, qui est à voir absolument, ne serait-ce que pour quelques scènes tout bonnement géniales en terme de mise en scène (la nuit du meurtre, la rencontre de l'esprit et la brume qui s'en suit, la mort de Washizu...)
CorwinD
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le 8 juin 2013

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CorwinD

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