Walter Black, le parfait dépressif. Il a « la grosse araignée au plafond » comme on dit grossièrement en langage populaire, pour décrire cet état apathique profond de repli sur soi mélancolique, empli d’absence, gorgé d’idiotie, actif pour le pire des maux qui soi, l'ennui absolu. Un vrai poison pour tout le monde, et forcément, pour lui-même. Un trou béant qui aspire tout, une spirale infernale qui ne s’arrête jamais, un négativisme à toute épreuve, un regard torve, une tête de con, une tête de fou, une tête d’ahuri endormi. D’ailleurs le gars dort un peu partout. Il n'y a plus personne aux commandes, il n'y a plus rien, over, on baisse le rideau, c’est fini.


Et puis, cette peluche – marionnette trouvé dans une poubelle est la providence. Au lieu de se balancer lui-même dans la benne publique (vu qu’il n’y avait plus que ça à faire), Walter met la main sur ce castor dont il est question. THE Beaver.


Walter enfile le castor dans sa main, et paf, sa vie change. Du pouvoir de l'esprit, et de l'emprise de l'esprit sur l'esprit. La puissance de la « chose » psychologique.


Walter ne trouvait aucune alternative à sa problématique maniaco-dépressive, rien. Pas de solution, aucun effet le livre positiviste, au revoir la psychanalyse, salut les médocs, et que je te ramollis le cerveau dès que je peux. C’est encore pire toutes ces conneries en fait. Dans la tête du malade, la solution aux maux est censée venir d'un "ailleurs" dirait-on, et c’est sans doute là le propos du film. Le remède ne peut venir que d’un autre que soi, d’une altérité bienveillante, la bonne fée clochette quoi, l’ange gardien. Et mon cul c’est du poulet oui.


Le remède ne vient que de soi-même, de cette opiniâtreté et de cette capacité que l’on a (ou non) à vouloir s’en sortir, à se battre, à vivre comme un brûlot ardent (quand bien même le sérieux de la maladie requiert un certain nombre de complexités à prendre en compte). Il n’empêche. On se ment à soi-même, on se fourvoie dans un fausse vie, un faux rôle social, on ne se donne pas le droit d'être heureux, on trompe son monde, on est à côté de la plaque, on ne se donne pas forcément le droit d'être réellement soi-même.


Walter se parle à lui-même par l’intermédiaire d’un castor en peluche. Quel objet de médiation thérapeutique parfait. Impossible d’admettre que c’est lui-même qui détient la solution, dans sa tête de convalescent profond c’est le castor le héros, le sauveur, celui qui lui redonne un goût à la vie en lui donnant des gros coups de pieds dans le cul façon sergent-instructeur, des taquets salvateurs : "putain mais tu vas te bouger le cul!"


Il s’agit en réalité du discours bienveillant que l’on est susceptible d’avoir envers soi, lorsque l’on s’estime suffisamment. Sauf que chez Walter, ce discours s’est externalisé en castor, cela l’aide à mettre une distance entre lui et ses idées noires. La parole du prophète castor est un appel aux armes, une bataille contre le mauvais esprit, le mauvais œil, une révolte contre un « soi » régressif.


Un film réussi par Jodie Foster qui n'a eu aucun complexe à passer de l'autre côté de la caméra.

Créée

le 14 nov. 2013

Critique lue 432 fois

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Errol 'Gardner

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