Robert Bresson est décidément un cinéaste qui m'étonne ; je me souviens encore l'effet que m'avait fait le premier film que j'ai vu de lui. J'ai été décontenancé, c'est rien de le dire, en premier lieu et principalement par la direction d'acteurs. Mais passé la surprise initiale, et quelques-uns de ses long-métrages plus tard, ne reste plus qu'à mon sens ce qui fait le cœur de son cinéma : l'émotion. Son travail sur l'épure absolue, autant dans la réalisation, pour le moins minimaliste la plupart du temps (aucun artifice de mise en scène, peu de mouvements de caméra, la plupart du temps aucune musique extradiégétique), l'écriture et la direction d'acteur (aucun sentiment exprimé par le jeu, dialogues assez nombreux mais brefs et succincts), parvient, paradoxalement, en faisant ressortir aussi visiblement l'artificialité du cinéma, à capter l'émotion des séquences de manière presque brute... Une démarche déroutante, dont j'ai souvent du mal à croire qu'elle n'est pas en partie accidentelle tant elle me paraît génialement risquée (ses excellentes Notes sur le cinématographe tendent cela dit à prouver le contraire), mais qui fonctionne à la perfection, et en font sans doute possible un des plus grands...


Un cinéaste étonnant, donc, et dans le cas de ce film - le terme est galvaudé mais ici approprié : visionnaire.


En effet le premier point qui choque pendant le visionnage – qui m'a en tous cas choqué – c'est l'actualité du sujet. Bresson traite ici de la jeunesse des années 70, tiraillée entre une société de consommation qui pousse aux instincts les plus bassement matériels (le perso principal, qui dit que son seul désir est de baiser toutes les femmes qu'il pourra), et le désespoir face à la crise climatique qui en est la directe conséquence.


Bresson ne nous laisse pas le moindre espoir : dès le début, il nous annonce la mort du protagoniste, et le film en retraçant ses derniers jours nous dressent un portrait de son entourage


Sujet casse-gueule par excellence s'il en est, tant il est facile de tomber dans la facilité, soit en se laissant glisser en plein dedans, soit en se permettant des raccourcis infantilistes, peu de films peuvent se vanter de traiter avec pertinence du nihilisme (le premier exemple qui peut nous venir à l'esprit d'un film y parvenant intelligemment, ce serait bien sûr Fight Club, même si son côté complaisant, dans un premier temps, le fait souvent la cible de critiques un peu injuste) ; ici, comme toujours avec notre bon Robert, c'est sobre et pudique, c'est intelligent.
On ne subit jamais un misérabilisme outrancier, en aucun cas on ne ressent de mépris pour ces personnages pourtant parfois difficilement appréciables (ce protagoniste, espèce de bourgeois tête à claque qui irrite souvent).


Et cette fin – quelle fin ! À l'image de toute l’intelligence du film...


« J'avais cru que dans un moment aussi grave, j'aurai des pensées sublimes. Tu veux que je te dise à quoi je pense... » le dernier mot se mêlant à la détonation du flingue avec lequel on l'abat, pour une poignée de francs...


Bresson ne sur-explique rien, n'explicite rien ; tout repose dans le non-dit, dans le choix comme toujours brillant des acteurs, dans les personnages eux-mêmes, qui expriment malgré eux ce mal-être possèdant, comme un diable invisible.

VizBas
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top 10 Films et Les films avec la plus belle fin

Créée

le 25 oct. 2020

Critique lue 236 fois

1 j'aime

VizBas

Écrit par

Critique lue 236 fois

1

D'autres avis sur Le Diable probablement

Le Diable probablement
Jean-Mariage
9

Un chef-d'œuvre d'une force incroyable

« Ce qui m'a poussé à faire ce film, c'est le gâchis qu'on a fait de tout. C'est cette civilisation de masse où bientôt l'individu n'existera plus. Cette agitation folle. Cette immense entreprise de...

le 8 déc. 2018

6 j'aime

Le Diable probablement
ValM
2

Critique de Le Diable probablement par ValM

Alors là, on tient une daube de compétition. Si Robert Bresson a la réputation d'être un auteur exigeant, austère voir soporifique pour ses détracteurs, j'avais énormément aimé Un Condamné à mort...

Par

le 18 sept. 2014

6 j'aime

3

Le Diable probablement
Zogarok
7

Cinéma shoegaze

En 1977 la carrière de cinéaste de Bresson touche à sa fin, une vingtaine d'années avant sa mort – L'Argent sorti en 1983 étant l'exception. Avec Le Diable probablement, il se rallie à une jeunesse...

le 8 mars 2017

4 j'aime

Du même critique

Le Parrain
VizBas
4

L'indéfendable

Je suis un peu fou de m'attaquer à un aussi gros morceau, et j'ai bien conscience que beaucoup de gens s'y appliquerait bien mieux et plus justement que moi, mais je me permets parce que ce que je...

le 9 janv. 2023

11 j'aime

5

’77 LIVE (Live)
VizBas
10

Et La Lumière Fut

Alors que la gentille pop-rock américaine envahit brutalement un pays meurtri par les ravages de la guerre, une résistance se forme, une contre-culture dont la grandeur atteint son apogée un certain...

le 16 oct. 2023

8 j'aime

Avatar - La Voie de l'eau
VizBas
3

Apnée Sensorielle, Noyade Esthétique

Avatar - La Voie de l'eau est un film, malgré ses 3h15, d'une grande densité, dont il est difficile d'appréhender le plus gros des défauts tant ceux-ci s'accumulent dans son déroulé ; mais de manière...

le 22 juin 2023

7 j'aime

2