Voyage dans un monde envoûtant [Avec spoils]

Lorsque j'étais adolescente, j'avais lu le livre de Gaston Leroux, que j'avais beaucoup apprécié même si après cela je n'ai plus supporté de dormir dans l'obscurité pendant un petit moment...
C'est quelques années plus tard, lors d'un examen de solfège, que j'ai découvert l'existence de ce film, que je m'étais empressée de voir, ne sachant pas trop à quoi m'attendre mais espérant un film à la hauteur du livre.


Alors, pari réussi?


Eh bien, clairement oui, et de loin. Les décors sont somptueux, les costumes superbes, on en prend plein la vue et c'est un véritable régal pour les yeux. Je me suis immédiatement sentie transportée dans cette époque comme si j'y avais toujours vécu. Je n'ai pas assez de connaissances historiques de cette période pour dire s'il y a des incohérences quelque part, mais en tout cas s'il y en a, elles passent très bien.


De la même manière, j'ai été très agréablement surprise par la musique. Les airs sont relativement simples d'un point de vue composition, mais elles ont un petit quelque chose qui leur donne toute leur émotion (la performance vocale et scénique des acteurs-chanteurs n'y est pas pour rien non plus). Simplicité musicale mise à part, on n'est pas très très loin de l'opéra- certains codes y sont d'ailleurs repris. Egalement, ces musiques sont aussi très contrastées: rien de comparable entre le vocal "Think of me", le sombre "The Phantom of the Opera", l'envoûtant "The Music of the Night" et le tendre "All I ask of you", pour ne donner que ces exemples. Bref, pari réussi pour la musique.


Pari réussi également pour la mise en scène. J'avais profité de mes grandes vacances pour analyser image par image certaines scènes de ce film ("All I ask of you", "The Music of the Night", "The point of no return"...). Et là, c'est bluffant: rien n'a été laissé au hasard, absolument rien. Les couleurs, les ombres, les angles de la caméra, tout a été pensé, prévu, et calculé au millimètre près. C'est fascinant à observer, parce qu'on sent le véritable travail de metteur en scène qui a été fait. Ce n'est clairement pas du travail bâclé pour public peu exigeant. Il y a eu tout un travail de réflexion derrière, et le résultat est à la hauteur de cette réflexion.


Bref, pari réussi haut la main.


Bon, évidemment, il faut un point qui fâche. A travers les critiques que j'ai pu lire, l'un des principaux reproches fait à ce film est l'inconsistance de l'intrigue. Personnellement, je ne suis pas entièrement d'accord. Dans le livre de Leroux, il y a un véritable triangle amoureux tout à fait crédible, le problème ne vient pas de là. En fait, je pense que le problème vient surtout du traitement fait du personnage d'Erik (le fantôme). Dans le livre de Leroux, Erik a certes eu une enfance malheureuse qui a probablement contribué à sa folie, mais au moment des faits, il est considéré comme un fou génial, un être extrêmement intelligent et amoral- ou tout au moins n'ayant pas la moralité occidentale. Erik n'hésite pas à tuer, prépare même des pièges pour voir ses victimes mourir, c'est quelqu'un de dangereux, qui fait peur- et pas seulement à Christine, au lecteur aussi, et c'est cela qui crée la tension et toute l'angoisse de l'intrigue. Jusqu'à la fin, même après que Christine a choisi le vicomte, on se demande "mais vont-ils survivre à l'ire destructrice d'Erik?"


Or dans le film, le parti pris est différent. Dès le départ, Erik n'a aucune chance de rivaliser avec le vicomte. Son désir n'est pas considéré sérieusement et plus que cela, à aucune moment il n'est considéré comme un véritable danger (le summum étant dans la chanson "Learn to be lonely", non ajoutée au film, limite infantilisante). En fait, Erik est traité comme une victime: s'il est violent etc, c'est parce qu'il a été toute sa vie victime de discrimination à cause de son visage défiguré. Il inspire de la pitié à Christine parce qu'il est différent, parce qu'il est une victime de la société et qu'il doit être aidé et accompagné afin d'être à nouveau accepté dans la société. A ce titre, c'est d'ailleurs intéressant de voir que le Persan du livre est remplacé par une figure maternelle, Mme Giry.


Cela amène d'ailleurs à un certain paradoxe par rapport à l'humanisation d'Erik. Dans le livre, Christine est touchée de l'histoire malheureuse d'Erik, et c'est par l'amour qu'elle finira par l'humaniser. Dans le film, Christine a pitié d'Erik et veut l'aider, le présentant aux yeux de la société en lui retirant son masque. Pour le dire vite, disons qu'avec le traitement de cet acte on voit l'évolution morale de la société en un peu plus d'un siècle, le passage d'une morale "catholique" à une morale "sociétale". Cependant, je ne crois pas qu'ici, l'objectif de ce film soit de faire une dénonciation de la discrimination. Je pense plutôt que le réalisateur a appliqué la maxime contemporaine "Un méchant est un gentil qui s'ignore".


Bref, tout ça pour dire que je ne crois pas que ce soit l'intrigue qui pose problème ici, mais la manière contemporaine de s'emparer du personnage d'Erik. En le posant d'abord comme une victime de discrimination, le scripteur adapte les valeurs de l'époque aux valeurs contemporaines et affaiblit la tension du personnage, affaiblissant du même coup l'intrigue. Accessoirement, cela permet aussi la diffusion du film à un plus grand public, ce qui est sans doute aussi le but recherché. Parce que si le réalisateur avait dû introduire quelques petits détails angoissants du livre dans le film, nul doute qu'il aurait été déconseillé aux moins de 10 ans...


Mais cette petite faiblesse du scénario ne saurait faire oublier le plaisir des yeux et des oreilles de ce film magnifique. Le Fantôme de l'Opéra reste, à mes yeux, un chef d’œuvre visuel et musical. Oubliez le scénario, oubliez vos soucis, votre boulot, tout. Installez vous dans un bon fauteuil et laissez la magie opérer.


Let your mind start a journey through a strange new world
Leave all thoughts of the world you knew before
Let your soul take you where you long to be
And listen to the Music of the Night...

Luevana
9
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le 3 nov. 2022

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