On peut bien sûr le regarder au premier degré et se régaler des situations farfelues qui s'enchaînent. Mais le film pisse bien plus loin que ça car chez Bunuel, le surréalisme des situations n'est jamais gratuit. Commençons par évacuer ce que le film n'est pas : une critique de la bourgeoisie (elle serait où ? Dans le licenciement abusif de la bonne ? Un peu léger quand même !) Une critique de la religion ? Juste en passant alors, mais de façon très subtile (des culs bénis sans gênes qui gobent toutes les décisions du Vatican, qui se laissent aller à jouer, boire et fumer, mais qui n'acceptent pas d'être collectivement confronté au sexe !).


En fait, le film est une réflexion sur au moins trois thèmes : Les convenances qu'on peut interpréter (les cartes postales), relativiser (pourquoi ne pas aller au cimetière la nuit ?) inverser (les chiottes) sans que cela ne change en profondeur l'ordre établi, sauf que les limites de la méthode existent bel et bien (le condamné à mort). Le pouvoir, brillamment illustré par cette séquence (un peu lourde) où des gendarmes frappés d'infantilisme retrouvent tout leur sérieux pour tancer un automobiliste roulant trop vite. L'aveuglement de ceux qui refusent de regarder une réalité qui est pourtant sous leurs yeux (la petite fille disparue).


Alors pourquoi ce titre qui paraphrase Marx ? Et pourquoi ce cri de l'un des fusillés dans le prologue qui hurle "A bas la liberté !" ? Et bien parce que Bunuel nous dit que nous ne sommes pas libres mais prisonniers des convenances, (les chiottes) du rôle que la société nous fait jouer (les gendarmes), de nos préjugés (les cartes postales), de notre destin (scène du docteur) et même de notre perception des choses (la petite fille). Les seuls essayant de se libérer étant Michel Lonsdale et sa maîtresse, fabuleux couple S.M. et exhibitionniste rejeté par tous les autres, mais offrant un fabuleux pied de nez à la morale bourgeoise (et non pas à la bourgeoisie, ce n'est pas la même chose).


Coté mise en scène c'est très riche avec des plans étonnants : les portes qui s'ouvrent (métaphore sur le sens du film et ses clés) et qui se ferment à l'hôtel ou encore cette sublime partie de piano jouée nue par Adriana Asti. Un certain nombre de choses ne sont hélas pas perceptibles à la première vision et c'est dommage. On regrettera éventuellement les victimes du tueur qui s'écroulent comme dans une cour de récrée (mais peut-être est-ce volontaire ? allez savoir avec ce réalisateur !) quelques liaisons inter-scènes pas trop foulantes et la fin assez obscure. Malgré quelques imperfections nous tenons là un très grand film... Et un grand Bunuel (même s'il ne vaut ni Viridiana, ni Belle de Jour)... Et une belle affiche aussi !

estonius
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le 25 déc. 2018

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estonius

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