avril 2010:

Comme souvent avec Mikio Naruse, je mets beaucoup de temps à entrer dans le film. A plusieurs reprises en effet, les deuxièmes parties de ses films font prendre tout leur sens aux premières. On découvre ses dernières avec une circonspection polie mais non sans inquiétude : "où veut-il en venir?" Les intrigues où se mêlent divers personnages prennent un certain temps, un temps de proposition que Naruse investit avec soin, avec minutie et qui peut laisser le spectateur dans un état d'expectative. Et puis soudain, ces quelques nuages de désarroi et d'incompréhension se dissipent. Tous les morceaux du puzzle trouvent leur place, le film prend tout son sens, la première partie devient cohérente, le film grandit, surprend, épate.

Sur celui-là, c'est exactement encore une fois le même ressenti. Le contraste des impressions est d'autant plus intense que la première moitié du film est presque la copie conforme de "Quand une femme monte l'escalier", tourné 9 ans plus tard en 1960 avec Hideko Takamine. Je ne savais pas que c'était un remake en quelques sorte du "fard de Ginza". Par contre, celui-là incorpore dans la trajectoire de Yukiko (Kinuyo Tanaka) une histoire d'amour ratée et surtout un petit bout de chou dont la présence et la disposition vont souligner la force de caractère de Yukiko.

Dans un premier temps, j'ai été comme déçu de découvrir ce lien entre les deux films m'attendant par conséquent à suivre le même récit. Or, si les deux films traitent conjointement de la condition de la femme indépendante, les deux scenarii et les deux actrices principales apportent quelques nuances notables, notamment grâce aux différences d'entourages. Kinuyo Tanaka doit soutenir son frère, sa soeur et élever son bambin. Hideko Takamine est vraiment indépendante, elle lutte pour maintenir cette liberté. Kinuyo Tanaka s'adapte à son indépendance, elle la subit. Ses discussions avec sa soeur ou son amie évoquent souvent l'homme idéal sur lequel bâtir un avenir sécurisant. Hideko Takamine fuit tant que faire se peut ce genre de compromission avec sa liberté, malgré la pression sociale qui l'incite à abandonner ses marges de mouvement, sa souveraineté de décision. De ce fait, les deux films montrent une nette évolution socio-morale dans le Japon de la décennie. Intéressant.

Je parlais de sens plus haut à propos de la dernière partie mais l'on pourrait tout aussi bien parler de poésie humaniste. La lente approche de la première moitié du film est nécessaire pour véritablement toucher du doigt cette sensibilité et ce qu'éprouvent les personnages dans la seconde partie. Une scène comme celle de l'avoinée que subit le marmot que sa mère a cherché partout est d'une rare intensité dans un film jusque là plutôt calme. De même, la dernière séquence qui voit l'oncle chercher en vain dans ses poches une pièce ou deux à donner à son neveu me touche beaucoup. Les deux scènes réorientent les personnages vers leur priorité, le bonheur d'un enfant. La recherche du bonheur de l'autre est déjà une priorité, un réflexe cher Yukiko, démontrée quand rejetée par le bellâtre qui s'amourache de sa soeur, elle parvient très rapidement à considérer le sourire de sa soeur pour ce qu'il est, l'essentiel sans que cela soit ressenti comme un sacrifice, non, mais bien plutôt comme un geste altruiste, marque de tempérance, marque d'amour pour sa soeur. Du Naruse tout craché, humaniste. Non, non, je ne m'emporte pas, les mots sont raisonnables.

PS. Je note un trait qui revient souvent dans ce film et que je n'ai pas aperçu sur les autres films de Naruse : souvent la caméra encadre les personnages à travers les fenêtres depuis l'extérieur. D'autre part, Naruse joue beaucoup avec les reflets des personnages dans les glaces et miroirs. Il me faudra prêter attention à ces procédés lors des prochains visionnages pour y déceler une récurrence et peut-être un sens profond.
Alligator
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le 6 avr. 2013

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