Difficile de ne pas être touché par l'ampleur du coup monstrueux réalisé par Philippe Petit et un petit groupe d'amis proches, frasque géniale et grandiose qualifiée en son temps de "the artistic crime of the century" par les journaux. Le 7 août 1974, au petit matin, les badauds qui se promenaient à Manhattan virent en levant les yeux dans le ciel un homme perché sur un fil tendu entre les deux tours de feu le World Trade Center. Man on Wire, du nom du rapport de police qui avait conduit à son arrestation (et à sa libération rapide), raconte avec une malice extrême — et une parcimonie dans les images de l'événement un peu trop forte, aussi, il faut l'avouer — le projet complètement chtarbé, depuis son organisation méticuleuse digne du casse du siècle jusqu'à cette petite heure suspendue dans le temps, occupée à faire 8 allers-retours sur un câble perché à 400 mètres de hauteur sans assurage.


C'est à mon sens le seul vrai reproche qu'on peut faire au documentaire : faute de prises de vue directes qui auraient été amassées en quantité, James Marsh donne régulièrement l'impression de combler un vide. Beaucoup de reconstitutions maladroites, beaucoup de souvenirs mis en scène dans un noir et blanc qui fait toc, et au final très peu de matière pour alimenter le cœur des enjeux, lorsque l'apothéose est censée survenir. La structure du film est soignée, avec grosso modo une heure de montée en tension pour présenter le contexte dans lequel cette idée folle a germé et le plan d'action mis en place afin d'arriver au but, avant d'évoquer le passage de funambule à proprement parler. On a beau savoir a posteriori que la bande de loustics a réussi à investir les étages supérieurs du plus haut bâtiment au monde à l'époque et que tout s'est bien passé, l'expérience reste malgré tout non-dénuée de suspense et de pression.


Le plus drôle, évidemment, c'est l'observation des derniers préparatifs pour accomplir cette folie, en toute illégalité — chose qu'une fiction comme celle de Robert Zemeckis en 2015 ne peut pas capter à la hauteur de ce geste documentaire-là. Les images de ces préparatifs, elles, même si elles ne sont pas de la main et de l'œil d'un Herzog, sont abondantes et permettent de capter l'atmosphère bon enfant qui précèdent l'exploit surhumain. La beauté réside essentiellement dans la totale gratuité de l'acte, grand moment de poésie amateur et sans autre finalité, qui laissera même les policiers interloqués. Les heures précédant la traversée à proprement parler, à pénétrer les lieux du site de construction à l'aide de fausses cartes d'accréditation, à déjouer l'attention des gardes de sécurité, à tirer à l'arc une flèche qui permettra de tirer les câbles, à éviter les boulettes de dernière minute, sont littéralement incroyables. Tout sera parti d'une révélation artistique dans la salle d'attente d'un dentiste, embrayant sur des mois d'entraînement, de repérage et de préparation au sein d'une bande de gentils clowns, pour terminer sur une note amère, celle du groupe volant en éclats juste après l'exploit. À défaut d'une vision solide ou d'une approche pertinente, le docu n'est pas aussi fantastique qu'il aurait pu être, mais il donne un aperçu malgré tout jouissif de cette pitrerie des sommets.


https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Funambule-de-James-Marsh-2008

Morrinson
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le 7 févr. 2024

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