août 2010:

Incroyable Naruse! Il continue de me surprendre, de m'interpeller là où je ne l'attends pas. Dans ce mélodrame conjugal, il se paie le luxe de jouer avec les codes du genre, peut-être même avec le bon sens.

D'abord, on découvre avec une grande finesse d'écriture et un sens du rythme toujours aussi bien rodés les différents personnages qui forment une famille dans la banlieue de Tokyo. Un couple de vieux héberge leur fils et leur belle-fille. Manifestement, on sent que l'amour entre les deux jeunes mariés s'est étiolé. Du moins du côté de l'époux qui rentre tard, saoul et considère sa femme comme une enfant (sous-entendant également que leur entente sexuelle est soporifique). Très vite, il s'en ouvre à son père et parle de son adultère. Et progressivement, le père, joué par Sô Yamamura de très belle façon ceci dit en passant, devient le personnage central de l'histoire.

Le spectateur est ainsi invité à découvrir l'histoire par cette position de témoin que prend volontiers le père d'autant plus qu'il nourrit une vive affection pour sa belle-fille (Setsuko Hara).
Sô Yamamura est plus que remarquable, d'une extrême sobriété, il laisse magnifiquement laisser paraitre toute sa surprise mêlée de désolation en découvrant l'étendue des dégâts qu'occasionne l'immaturité et la bêtise de son rejeton.

C'est aussi un film qui raconte cet amer constat d'échec, quand le père se voit également obligé d'héberger sa fille qui a fui le foyer marital et qui trouve le temps entre deux geignements à propos de son infidèle et incapable époux d'exprimer sa jalousie à l'égard de sa belle sœur que le père ose aimer davantage. Un puzzle familial compliqué à expliquer en quelques mots mais que Naruse parvient sans aucune difficulté à reconstituer avec même une sorte d'aisance aérienne qui fait souvent le charme de son cinéma.

Rarement, ses histoires tournent à l'expression pleine d'ostentation de la souffrance, au mélodrame pleurnichard. Ce film-là est au bord de ces crises de larmes. Mais surtout à cause du personnage de Kikuko (Setsuko Hara), la belle fille prise entre son affection pour le beau-père, la fidélité à son mari et l'envie de fuir ce pathos conjugal.

Entre deux Japon, celui du kimono et celui du costume cravate, les questions d'honneur et du statut de la femme sont une nouvelle fois les pièces maitresses du problème évoqué par Naruse.

Je me demande comment ce film aurait évolué avec une actrice un peu plus dense que Setsuko Hara. Une Hideko Takamine par exemple aurait été bouleversante. Hara fige un peu son jeu dans un sourire perpétuel. Le masque Nô qui frappe tout le monde par la troublante vie qui s'en dégage et qui en fait sa beauté est sans doute le symbole de cette inertie du personnage de Hara. La femme objet, jouant un personnage conventionnel d'épouse parfaite, portant un masque, métaphorique celui-là et avortant en cachette pour ne pas avoir d'enfant de ce mari volage. Souvent Naruse -comme Sirk- renverse les situations. Ici c'est la maitresse, abandonnée également par le mari, qui préfère garder son enfant. Dans une dernière scène bouleversante Hara et Yamamura se disent adieu, scène de rupture détournée, le mari faisant défaut jusqu'au bout, c'est le père qui en subit la conséquence quasi-amoureuse.

Peut-être pas le meilleur Naruse, m'enfin, on n'est pas en compétition et puis par sa structure et ses thèmes il peut donner beaucoup d'émotion et susciter de bonnes réflexions.
Alligator
8
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le 13 avr. 2013

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Alligator

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