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[Mouchoir #62]

En 1970, alors que Guy Gilles avait prévu de shooter (filmer) Jeanne Moreau, il en tombe à la place amoureux. Cinq ans plus tard, c'est l'heure du deuil. L'idylle n'a pas duré et du coeur torturé de Guy Gilles nait Le Jardin qui bascule. L'alter ego de toujours du cinéaste, Patrick Jouané, y a prévu de shooter (tuer) Delphine Seyrig — alter gow d'une Jeanne qui ne voulait pas jouer le rôle —, mais en tombe à la place amoureux.

Comme bien souvent chez Guy Gilles, l'argument tient sur un timbre poste et échappera au développement. Ce qui l'intéresse, ce n'est pas l'intrigue, la narration à laquelle on a l'habitude, ni même la psychologisation de ses personnages, comprendre quelles pensées font qu'iels agissent comme ceci ou comme cela. Non. L'attention, elle est aux détails, aux madeleines de Proust, aux gros plans de visages où se lisent des sentiments contrariés, la neutralité du jeu qui font de ces acteurices des miroirs, et toute la distance que cela implique. La liberté là-dedans, c'est qu'on s'identifie moins, mais qu'on réagit plus, qu'on se trouve plus à l'écoute de ce que certains effets cinématographiques produisent sur nous. Et c'est peut-être ça la vértitable intimité du/de la spectateurice.

Les films de Guy Gilles travaillent la « relation fatale entre l'imaginaire et la chose vécue, revenue par le souvenir, éxagérée, modifiée, ou épurée par la réflexion et la distance. Tout est lié.¹ » C'est peut-être pour ça que le générique est en vert et magenta, parce qu'il annonce entre quoi et quoi le film est torturé, écartelé, quelle liaison le tourmente. Qui plus est, au cinéma, quand on parle de ces deux couleurs, c'est qu'on cherche à équilibrer la teinte, comme ce jardin qui bascule à chaque exploration, à chaque fois qu'on change de côté, et qui nous ramène fatalement au point de départ, à zéro.

Et si Guy Gilles est un peintre cherchant la teinte, sa gamme, c'est le surgissement, les éblouissements prompts, la couleur vive, la fugacité fragile, les éclairs aussitôt évanouïs qu'aperçus. Ce formalisme naïf et cette croyance que l'art peut changer le monde, en tout temps, aura été sa faiblesse, ce pourquoi le public et la critique l'ont boudé, mais aussi toute sa force ; et Le Jardin qui bascule n'échappe pas à la règle. La façon dont j'ai réussi à trouver ma place dans cette histoire, c'est que même en voyant toutes les imperfections qui s'y trouvent, je m'imagine mal mourir autrement que devant un film de Guy Gilles, pour me rappeler une dernière fois avant de partir, toutes les couleurs que peut prendre la vie, tout ce qui est beau et qui dure si peu.

En attendant, le vrai crime du Jardin qui bascule, c'est d'avoir accepté que Jeanne finisse sa chanson sur « Notre amour est la vrai raison ». Mon petit coeur n'a pas tenu le choc entre l'imaginaire et la chose vécue.

¹ Guy Gilles, Entretien avec Jean-Claude Guiguet, Had International, 1975.

SPilgrim
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le 10 mai 2024

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