Le genre français, cet éternel malentendu

A chaque film labellisé « genre » français, nous avons droit à l’éternel cirque dans la façon dont le film en question est vendu et surtout reçu, par la critique comme le public. Car chacun a ses attentes et sa conception des choses sur ce que devrait être ce fameux genre, terme générique englobant un peu tout et n’importe quoi. Et depuis les succès d’estime, voir public, de certains représentants récents du fantastique made in France, il serait fort tentant de s’imaginer être tombé dans une période en forme d’Eden pour tous les apprentis fabricants d’œuvres fantastico-horrifiques francophones. Pourtant, il semblerait que rien n’ait vraiment changé dans l’appréhension globale des décideurs, tant la distribution des dites œuvres semble être purement chaotique, sans qu’il soit possible de discerner ce qui dans la tête de ces personnes serait le plus à même de fonctionner auprès du grand public. Le binôme Alexandre Bustillo et Julien Maury, bien connu des amateurs de genre pur et dur puisque le premier a été longtemps rédacteur dans la revue Mad Movies, en tant que fan de gore qui tâche,et que les deux compères avaient bien éclaboussé (c’est le cas de le dire) le cinéma français avec leur premier long métrage ultra radical, A l’intérieur, il y a déjà 17 ans de ça, en sait quelque chose. Depuis ce coup d’éclat furieux et sanguinaire, leur carrière a été pour le moins branlante, non pas qualitativement, ces derniers ayant maintenu une certaine tenue tout comme certains défauts, mais en terme de réception générale, étant globalement sous distribués et donc peu ou pas vus du tout. Ce qui ne manque pas de décevoir les attentes placées en eux, et en même temps de rassurer sur leur vision des choses, assumant totalement leur foi en un cinéma leur correspondant, et n’ayant pas l’intention d’aller faire de la comédie avec Dany Boon ou Jérôme Commandeur pour payer leurs factures. Une carrière déjà riche de 7 films, arpentant chaque fois des territoires différents tout en payant leur tribut à ce cinéma qui a construit leur cinéphilie. Mais trêve de mise en perspective, alors que sort aujourd’hui ce septième long métrage, adapté d’un roman très noir du français Alexis Laipsker, où en est le duo ?

Prenant place dans les Vosges, se plaçant forcément dans la tradition d’un certain polar français situé en dehors de la ville, le récit débute par une scène de crime particulièrement corsée sur laquelle se retrouvent deux enquêteurs ne se connaissant pas, le gendarme Franck de Rolan, qui enquête sur une série de disparitions d’enfants, et la commandante Elizabeth Guardiano. Un couple s’est entretué avec une rage et une sauvagerie inouïe, retapissant les murs de leur chalet de sang, et sans qu’une logique n’apparaisse sur la raison de ce soudain déchaînement de violence.Au fil de leur enquête, ils découvriront la légende locale du « Mangeur d’âmes », et exploreront les recoins les plus sombres de l’âme humaine …

Le roman se plaçait donc dans la tradition des Grangé et autre Maxime Chattam, auteurs de polar malsain ayant rendu certaines lettres de noblesse au noir français, et mêlait plusieurs intrigues retorses à priori opposées se rejoignant lors d’une conclusion moralement terrifiante. Difficile d’en dire plus sans déflorer les surprises réservées par le scénario, mais disons que les grandes lignes en ont été respectées tout en modifiant certains aspects, notamment les explications finales un peu plus frontales dans le roman, sans doute par nécessité grand public. Ce qui rend l’exploitation désastreuse du film dans les salles d’autant plus incompréhensible lorsqu’on constate, avant toute considération artistique, le caractère potentiellement très accessible du film, sans doute le plus à même d’attirer un large public de la carrière du duo, au-delà des saillies gores dont ils ont le secret.

Mené à un rythme alerte, sans chichi ni gras superflu, le récit emprunte aux codes du polar télé avec ses interrogatoires pouvant vite devenir redondants, rendus dynamiques par le montage alerte de Baxter, et bien aérés par les images gores intercalées aux moments opportuns, et les vues aériennes d’un décor dépressif hautement cinégénique. Certes, le budget n’est pas le même que pour un Kassovitz sur Les rivières pourpres, mais les deux se sortent comme toujours plutôt bien de leurs limites budgétaires avec un sens de l’atmosphère indéniable, bien rendu ici par la photo blafarde et funèbre concoctée par Simon Roca.

Sans se risquer à des dithyrambes qui seraient dans le contexte assez exagérés, osons malgré tout affirmer que malgré leurs défauts habituels (dialogues manquant de texture, climax un peu expédié et confus), les deux cinéastes s’assument de plus en plus comme de solides artisans sachant planter un décor et des enjeux, filmant avec un plaisir manifeste et se chargeant de rendre le plus attractif possible ce qui pourrait n’être ici qu’un téléfilm de plus, ce que ne manquent pas de déblatérer quelques sinistres « critiques » se croyant malins à faire preuve de cynisme à l’encontre d’un cinéma fondamentalement honnête et divertissant, donnant ce qu’on est en droit d’attendre de pareil projet. On peut tiquer sur certaines maladresses, mais le résultat est là : c’est efficace et jamais ennuyeux, en plus de toujours nous offrir quelques belles fulgurances, comme cette trop courte scène onirique où un bambin avance dans un couloir d’hôpital aux éclairages rouges, accompagné d’une étrange créature mi-homme mi-animal. Ce type d’instants poético-macabre donne toute sa singularité à un objet qui, réalisé par d’autres qu’eux, ne serait qu’un banal polar aseptisé calibré pour le prime time de France 3. Ce à côté de quoi il était à deux doigts de tomber à certains moments mais qu’il aura su éviter avec adresse.

Côté casting, c’est très hétéroclite et l’on retrouve avec plaisir des gueules un peu perdues de vue, ainsi que Virginie Ledoyen, toujours belle et crédible, malgré là encore les dialogues qui ne la servent pas forcément pour le mieux, mais dont elle se sort sans honte et sans reproches. Paul Hamy apporte une fragilité et une force bienvenues également à son personnage ambigu. Il est donc désolant de constater une fois de plus le manque d’enthousiasme qu’y met la presse généraliste pour défendre ce type de proposition dont le cinéma français a besoin, loin des tentatives plus auteuristes (et parfois de qualité, que cela soit clair) récentes, poursuivant une filmographie cohérente et estimable, et qui cette fois aurait pu toucher un public plus large, si la distribution l’avait bien voulu. Vu dans une salle de moyenne capacité un samedi après-midi (seule séance de la journée pour une semaine de sortie, bravo), la séance était complète 40 minutes avant, et le public présent, varié et de tous âges, avait l’air concentré et happé par le récit. Cela ne sauvera malheureusement pas ce film-là des bas-fonds du box office, mais si cela pouvait un peu donner de la graine aux exploitants qui n’hésitent pas par ailleurs à nous abreuver chaque semaine de véritables téléfilms bien plus indigents et ineptes que ce bon petit thriller que l’on pourrait qualifier sans aucun mépris de film du samedi soir, cela serait déjà ça de gagné. A voir donc, pour ceux qui le pourront.


micktaylor78
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le 28 avr. 2024

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