Al-Risâlah (Moustapha Akkad, Lybie, 1976, 3h27)

Au début des années 1970 un jeune Syrien passionné de cinéma, venu faire carrière à Hollywood, sans y trouver satisfaction, eût l’idée lumineuse de mettre en scène une œuvre sur la naissance de l’Islam. S’apercevant que cette religion était relativement mal connue dans le monde occidental, et sujet à de nombreux aprioris négatifs, il se lança dans une production qui relaterait comment Mahomet réussit, à son époque, à imposer cette religion dans une péninsule arabique alors dominée par la culture païenne.


Dans la grande tradition des épiques films bibliques hollywoodiens, il voulut y mettre les moyens ainsi que les formes, pour obtenir un résultat populaire et universel, afin d’éradiquer la négativité entourant sa propre religion. En 1974 le tournage débute, et c’est parti. Sauf qu’en plein milieu de l’aventure Mustapha Akkad se retrouve sans le sous, incapable de financer la suite de son ambitieux projet.


C’est en la personne, assez incongrue, de Muammar Kadhafi, alors dirigeant d’une poigne de fer la Lybie, qu’il trouve un soutient. L’homme d’État, pan-arabiste, met la main au portefeuille pour cofinancer la suite du tournage. Une anecdote assez singulière, d’autant plus que l’œuvre est totalement dénuée d’idéologie, de propagande, ou de prosélytisme. Devenue une co-production entre le Maroc, la Lybie, l’Égypte et l’Arabie-Saoudite, ‘’Al-Risâlah’’ prend tout de suite la dimension annoncée par ses ambitions.


Réunissant un casting composé de 28 nationalités et cultures différentes, le tournage est étalé sur deux ans, entre le Maroc et la Lybie. Le rêve d’Akkad fût à la hauteur de l’expérience personnelle qu’était avant tout ce métrage pour lui. Selon ses propres mots :



‘’J’ai fait ce film pour des raisons personnelles. Au-delà de la dimension de cette production en tant que fiction, elle possède son histoire, son intrigue et son drame. Au-delà de tout ça, il y avait un je-ne-sais-quoi de personnel, étant moi-même un Musulman vivant en Occident. Je ressentais qu’il était de ma responsabilité, de mon devoir, de raconter la vérité à propos de l’Islam. C’est une religion qui a 700 millions d’adeptes [en 1976], et pourtant elle est très peu comprise, ce qui me surprenait. Je pensais devoir raconter cette histoire pour créer un pont afin d’en réduire l’écart avec l’Occident.’’



Alors bien sûr lorsque l’on pense ‘’Islam’’ et ‘’Mahomet’’, l’idée d’un film sur l’histoire de ce dernier, en vue de la tradition du culte interdisant toutes représentations de lui et de ses femmes, ça pose un défi supplémentaire. Ainsi, le métrage s’ouvre sur les mots suivants :



‘’Les créateurs de ce film honorent la tradition Islamique qui prévient de toute représentation du Prophète comme offense contre la spiritualité de son message. C’est pourquoi la personne de Mahomet ne sera pas montrée (ni entendue).’’



C’est ainsi en vue subjective, accompagnée d’une musique mystique, qu’est illustrée la présence de Mahomet à l’écran. Les personnages qui s’adressent à lui s’expriment en regardant l’objectif de face, répétant ce qu’il leur dit, où lui répondant, sans que nous puissions entendre quoi que ce soit. Cela offre une dimension métaphysique à l’œuvre, qui est assez surprenante, car ce qui aurait pu le pénaliser, raconter l’histoire d’un personnage, sans le montrer ni l’entendre une seule fois, devient en quelque sorte son originalité et sa force.


De plus, comme les vues de Mahomet épousent l’objectif de la caméra, nous nous retrouvons littéralement plongé au cœur du récit en tant que témoins. Un Prophète étant une personne qui vient s’adresser directement au cœur des Hommes, l’expérience prend ainsi une ampleur toute particulière, à mesure que la mise en scène nous prend directement à partie.


En accords avec les préceptes de sa religion Mustapha Akkad livre une œuvre solide et épique dans tous les sens du terme. Étonnement objective, jamais elle ne cherche à convaincre du bien-fondé du message de l’Islam, et se contente simplement de le présenter. Ainsi ‘’Al-Risâlah’’ n’est pas vraiment un ‘’film sur l’Islam’’, mais un ‘’film historique sur l’Islam’’. Pas de magie et pas de miracles, le surnaturel est absent, et la présence du divin, comme Allah et Djibril s’adressant à Mahomet, n’est que mentionné. Comme le fait qu’Allah ait dicté directement le Coran au prophète.


La volonté de proposer une œuvre authentique, et respectueuse de la tradition islamique, a mené Mustapha Akkad à soumettre son film à l’étude des hautes autorités de la religion Musulmane. Ainsi dans un carton au début de film il est mentionné que ‘’Al-Risâlah’’ (qui veut dire ‘’Le Message’’) a reçu l’approbation des garants du culte :



‘’Les savants et les historiens de l’Islam – L’Université de Al-Azhar au Caire – Le Haut Conseil de l’Islam Chiite du Liban – Ont approuvés l’authenticité et la fidélité de ce film. ’’



Le récit du film prend racine à La Mecque, où réside Mahomet, quelques années avant l’Hégire. La ville est alors aux mains des Quraych, dont le chef n’est autre que l’oncle du Prophète. Les habitants sont des païens, adorant de multiples Dieux, qui dans la Kaaba (qui deviendra le lieu le plus sacré de la religion musulmane) sont représentés par plus de 360 idoles. Dont Houbal, la divinité dominante.


Ayant reçu la visite de Djibril (Gabriel chez les chrétiens) l’encourageant sur ordre de Dieu à diffuser son message, Mahomet réunit autour de lui des fidèles. Ils se mettent alors à adorer le dieu unique, et le cercle s’agrandit à mesure que se diffusent la parole du Prophète. La société pré-islamique en place voit dès lors d’un mauvais œil cette nouvelle ‘’mode’’ et se met à persécuter quiconque décide de croire en Allah, en reniant Houbal et consorts.


Les premiers Musulmans sont ainsi plus ou moins chassés de Le Mecque en 622, et Mahomet part s’installer à Médine, à l’âge de 53 ans. C’est l’Hégire, le moment clé de l’Islam. Dans la nouvelle cité Mahomet et ses fidèles construisent la première mosquée, quand Bilal, un ancien esclave devenu Musulman pousse de la voix pour inviter la foule à venir prier. Devenant ainsi le premier muezzine. C’est à cette période que sont développées les grandes valeurs qui font cette religion.


Mahomet ne se met jamais au-dessus des autres. Il est conscient de n’être qu’un homme. Même si par son intermédiaire Allah a décidé de s’adresser aux Hommes, il reste un mortel. Menant une existence modeste, il prône l’ascétisme et rejette toute richesse, ou signe ostentatoire de. Il invite à respecter l’égalité, la justice et la paix en refusant toute violence, et toute mise au ban de son prochain. L’Islam, comme grande religion de la paix, est née.


Bien entendu tout n’est pas idyllique, et les païens reviennent à la charge, ce qui donne lieu à des batailles. Les Musulmans, au nom d’Allah, affrontent le peuple de La Mecque lors de combats sanglants. Qui vont paradoxalement à l’encontre du message prôné. Mais durant ces combats, les fidèles se défendent, ils n’attaquent pas. D’ailleurs lorsque Mahomet revient à La Mecque au crépuscule de sa vie en 632, il le fait sans démonstration de violence. Pardonnant à tous ceux qui l’ont offensés.


La religion Musulmane nait ainsi dans un mélange de paix et d’amour. Malgré la violence de la guerre livrée aux clans païens de La Mecque, elle parvient à s’imposer pour mieux diffuser son message. Néanmoins, ces batailles n’étaient pas vides de sens, puisque les Musulmans d’alors, par la voix de Mahomet, se dressèrent face aux excès d’une société obscurantiste et décadente.


En effet, La Mecque pré-Islam est une ville marchande où se croisent de nombreuses populations, où tout se vend et tout s’achète. Les élites de la ville, de riches marchands, vivent dans le luxe et l’opulence quand le peuple connaît une relative misère. Déconnectés de leur base, les garants des institutions de cette société ont failli. De plus ils pratiquent l’esclavage, fortement rejeté par l’Islam, pour qui tous les Hommes sont libres et égaux. Sans exception.


Mahomet se présente ainsi en sauveur, avec sa sage parole il renverse les païens, et ramène la paix, la justice et l’équité au cœur du peuple arabe. Des missionnaires sont alors chargés d’aller porter ses enseignements à travers le monde connu. Le film s’ouvre d’ailleurs sur trois cavaliers dans le désert : l’un se rend en Égypte, l’un à Byzance, et l’autre en Perce. Des lieux où seront adoptés ultérieurement la religion musulmane.


La naissance de l’Islam, telle que présentée dans ‘’Al-Risâlah’’, montre des points communs avec l’apparition du Christianisme 600 ans plus tôt. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que Jésus est considéré comme l’avant dernier prophète de l’Islam. Sous le nom de Īsā, il lui est juste retiré son aspect divin, mais non sa nature de messie. L’Islam reconnaissant aussi la religion Juive, puisqu’elle est elle aussi née d’Abraham. Les Chrétiens et les Juifs étant dénommés dans le Coran comme ‘’Les gens du Livre’’.


Lorsque le Christianisme apparaît au premier siècle, il est confronté à une violente répression. Elle peut être perçue sous différents axes. Celui des Martyrs, qui justifiera sa naissance dans la douleur, ou celui des terroristes. En effets, dans les comptes rendus de l’Empire romain, les Chrétiens sont présentés comme des fauteurs de troubles. Alors que l’Empire ne pratique pas de prosélytisme et accepte différentes religions en son sein. Il est alors possible de voir les premiers Chrétiens comme un groupuscule voulant imposer sa façon de penser la société.


Toujours est-il qu’à mesure que le christianisme se renforce, l’Empire romain décline progressivement. Face à la déliquescence d’un monstre à son crépuscule, alors que les institutions tombent en ruine, après avoir subi violence et humiliation, les Chrétiens imposent leur vision d’un Dieu unique en 337, par la conversion de Constantin sur son lit de mort.


Les trois grandes religions monothéistes ont ainsi connu des débuts difficiles avant de se diffuser amplement à travers le monde. Aujourd’hui il existe 1,8 milliards de Musulmans sur la planète, soit 24% de la population mondiale. Ce qui en fait la seconde religion monothéiste comptant le plus d’adeptes. En 1976, au moment de la sortie du film de Moustapha Akkad ils étaient 700 million. C’est donc une religion qui continue de séduire.


En ces temps un peu trouble que nous vivons, où l’Islam a mauvaise presse, il serait intéressant d’exhumer ‘’Al-Risâlah’’. Le film laisse en effet de côté tout obscurantisme dogmatique, pour présenter simplement une histoire forte, pleine de valeurs et d’une profonde humanité. Reflétant à la perfection ce qu’est réellement l’Islam, à des lieues d’une vision intégriste. Après tout, si le Christianisme était perçu à travers ses intégristes, il est certain qu’elle aurait tout autant mauvaise presse.


À l’heure d’aujourd’hui des historien.nes remettent un peu en cause les véracités historiques de la vie de Mahomet. Du moins telle qu’elle est présentée par les textes religieux, les hadiths, ou encore les sourates du Coran. Des zones d’ombres persistent sur la manière dont se sont vraiment déroulés les évènements, ceux-là même relatés dans le film de Moustapha Akkad.


Bien que dans sa forme globale ‘’Al-Risâlah’’ ressemble à une grande fresque historique, et qu’il a été visiblement mis un point d’orgue à exprimer un certain réalisme, le film est également à voir comme une œuvre qui a pris corps à la lumière de la foi d’un cinéaste. Il ne faut pas voir le métrage comme purement historique, car il n’en a pas vocation. Sa principale démarche étant de présenter le message qui y est véhiculé.


C’est vraiment un film sur l’Histoire de l’Islam, perçue par le prisme de cette religion. Une manière de diffuser les nombreux enseignements positifs dictés par Allah à Mahomet. Ceux qui viennent expliquer comment une communauté minoritaire a pu renverser une civilisation tombée dans l’obscurantisme, l’injustice et la violence. Où les élites écrasaient les faibles, où la luxure et la richesse avaient corrompus les valeurs morales collectives.


‘’Al-Risâlah’’ est une fresque impressionnante, surtout pour un premier film, ce qui est des plus surprenant. Elle sait capter le souffle épique des grandes productions bibliques Hollywoodiennes, en se plaçant clairement dans cette tradition. Sans prosélytisme, on ne le répétera jamais assez, ce film de Moustapha Akkad mérite vraiment de trouver une place de choix dans l’histoire mondiale du cinéma.


À l’image de la religion qu’il met en scène, ce sont les valeurs positives de cette dernière qui traversent le récit. En ces temps un peu difficiles, sombrant vers l’obscurantisme politique et institutionnel, ce sont des valeurs qui ne peuvent pas nous faire de mal. Tout au contraire. Respecter son prochain.ne, et se respecter soi-même, ce sont là des qualités universelles. Et non l’apanage de Dogmes sclérosées, détenus aveuglément par de vieilles élites aveugles, devenues tout ce que les fondateurs de la foi abrahamique combattaient.


-Stork._

Peeping_Stork
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Il était une Foi(s)

Créée

le 5 mai 2020

Critique lue 2.4K fois

7 j'aime

5 commentaires

Peeping Stork

Écrit par

Critique lue 2.4K fois

7
5

D'autres avis sur Le Message (version arabe)

Le Message (version arabe)
Salimos
7

Un film, hélas, bien souvent méconnu

Ce film en arabe (VOSTFR) sur la naissance de l'Islam dépasse de loin la version anglaise, la conviction dans le jeu des acteurs arabes, notamment les personnages de Hind et de Hamza, donnent...

le 13 oct. 2015

2 j'aime

2

Du même critique

The Way Back
Peeping_Stork
10

The Way Back (Gavin O’Connor, U.S.A, 2020, 1h48)

Cela fait bien longtemps que je ne cache plus ma sympathie pour Ben Affleck, un comédien trop souvent sous-estimé, qui il est vrai a parfois fait des choix de carrière douteux, capitalisant avec...

le 27 mars 2020

16 j'aime

6

Gretel & Hansel
Peeping_Stork
6

Gretel & Hansel (Osgood Perkins, U.S.A, 2020, 1h27)

Déjà auteur du pas terrible ‘’I Am the Pretty Thing That Lives in the House’’ pour Netflix en 2016, Osgood Perkins revient aux affaires avec une version new-Age du conte Hansel & Gretel des...

le 8 avr. 2020

13 j'aime

2

The House on Sorority Row
Peeping_Stork
9

The House on Sorority House (Mark Rosman, U.S.A, 1982)

Voilà un Slasher bien particulier, qui si dans la forme reprend les codifications du genre, sans forcément les transcender, puisqu’il reste respectueux des conventions misent à l’œuvre depuis 3 ans,...

le 29 févr. 2020

10 j'aime