Le Monde de Dory
6.5
Le Monde de Dory

Long-métrage d'animation de Andrew Stanton et Angus MacLane (2016)

[Attention, il est fortement conseillé d'avoir vu le film avant de lire ce qui suit]


Le cerveau est un organe constitué d'eau à plus de 70 %.


Ok, mais pourquoi est-ce que je vous raconte ça ?


Le Monde de Dory commence par un flash-back nous présentant Dory, le poisson chirurgien du premier film, bébé. La petite souffre de troubles de la mémoire immédiate et ses parents essayent tant bien que mal de la préparer au monde qui l'entoure. Mais Dory aime le sable, et elle rêve de s'aventurer hors de la Grande Barrière de corail. Derrière les parents, des plantes aquatiques ondulent, ancrent la séquence dans un passé incertain, et restituent le trouble intérieur de Dory, qui, très vite, se perd dans l'immensité de l'océan. Elle passera tout le reste du film à essayer de retrouver ses parents, mais déjà, elle vivra de formidables aventures avec Marin et Nemo, les poissons-clowns.


Le cerveau est un organe constitué d'eau à plus de 70 %… et ça tombe bien, puisque le film se passe sous l'eau et qu'il parle d'un cerveau dysfonctionnel… Et que donc, à bien y réfléchir, le terrain de jeu de cette suite n'est autre qu'un gigantesque cerveau. Idée brillante. Dory, le poisson chirurgien, évolue ainsi d'une zone à l'autre de son cerveau. Les environnements sont souvent dévastés (logique, alors, qu'ils soient moins attrayants que ceux du Monde de Nemo), tandis que des flashs intermittents, amenés par un formidable effet d'accélération (comme si toutes les parties du cerveau se mettaient à fonctionner ensemble le temps d'un instant), rappellent peu à peu au poisson bleu son passé.


C'est que même l'institut de biologie marine où Dory part à la recherche de sa famille (1) est construit comme un cerveau, avec ses innombrables tuyaux qui mènent d'une partie à l'autre, parties qu'il s'agit de faire travailler de concert. Les nouveaux venus Bailey, un béluga mâle, et Destinée, un requin-baleine femelle, qui vivent dans deux bassins adjacents comme deux hémisphères d'un cerveau, sont tout aussi complémentaires : l'une ne voit pas assez (elle est myope) tandis que l'autre voit trop (le Sonar), mais ensemble, ils peuvent aider Dory. On peut trouver la matrice de ce geste artistique dans l'architecture même des studios Pixar, construits en deux hémisphères (créatif et technique) qui se croisent à l'endroit d'un grand hall où les employés se retrouvent (et échangent des idées) à l'heure du repas.


Une séquence délirante montrera notre héroïne guidée à travers la tuyauterie du parc par Bailey et Destinée. Le film ne cesse de renvoyer Dory à son enfance (2) , et cette séquence cite ouvertement Alien (le sonar, la menace en approche). Là encore, la référence n'est pas fortuite : le chef-d’œuvre de Ridley Scott expose un univers intra-utérin fait de moiteur et de tunnels en tous genre qui est symboliquement reproduit ici, dans une séquence qui préfigure la renaissance de Dory.


Il faut noter que le poisson chirurgien passe une immense partie de l'aventure prisonnier de bocaux, d'aquariums, voire au début du long-métrage de son habitat (en forme de cerveau, tiens tiens). Elle passe de l'un à l'autre, toujours tenue captive, en un sens, par son propre cerveau et ses dysfonctionnements.


Quand, peu avant le dernier acte, Dory apprend que ses parents sont peut-être morts, le bocal dans lequel elle se trouve tombe à terre et se brise : le cerveau de notre héroïne est réduit en charpie, et elle passera à travers les égouts avant de se retrouver à l’extérieur de l'institut. C'est seulement quand elle ne sera plus prisonnière d'un bocal, ni d'un aquarium, qu'elle pourra retrouver ses parents.


Le plan-titre du film était très clair là-dessus : tandis que le titre apparaît, la caméra s'enfonce dans les profondeurs marines, la lumière du monde extérieur au-dessus, les ténèbres des abysses en dessous, et on commence l'aventure dans les ténèbres aux côtés de Dory. La ligne toute tracée de ce deuxième volet sera la suivante : retrouver la lumière, remonter à la surface (3). Cette lumière, on l'aura compris, c'est dépasser le handicap.


Quand elle retrouve enfin ses parents, ceux-ci se précipitent vers elle pour la prendre dans leurs bras : Stanton reproduit l'effet d’accélération des flashbacks et PAF, quand la famille est enfin réunie, il enchaîne sur un ralenti. C'est le choc du passé et du présent. Ce ralenti est bouleversant puisqu'on en comprend instinctivement la justification, et que les enjeux du film se résolvent ici... Ou presque. Dory est désormais réparée, et va pouvoir s’inquiéter du sort de son autre famille : Marin et Nemo, embarqués dans un camion en partance pour Cleveland.


Le climax qui s'ensuit est pure jubilation puisqu'il est la mise en pratique de tous les talents de Dory. Le cerveau fonctionne (à sa façon), ses différentes parties communiquent entre elles. Quand Dory réfléchit à une idée, elle plonge la tête sous l'eau : c'est qu'elle retourne dans son monde intérieur. Quand elle met en pratique cette idée, elle remonte à la surface. Et tant qu'à faire, poussons le délire encore plus loin : puisque Dory est capable de se rappeler d’événements passés, elle peut donc se souvenir des mouettes du premier film, et devinez quoi ? Les mouettes débarquent et aident nos amis. C'est génial, et la fluidité tant du montage que de la mise en scène font de cette séquence un grand moment de cinéma.


Conscient d'avoir accouché de quelque chose de spécial (ici en l’occurrence, plus un Vice Versa 2 qu'un Monde de Nemo 2), Andrew Stanton se permet enfin un final tétanisant, dans lequel l'emploi du mot « Unforgettable » paraît le plus naturel du monde, et surtout pas prétentieux. Une dernière réplique d'une évidence bouleversante, et pourtant seulement rendue possible par l'extraordinaire maîtrise des presque deux heures qui viennent de s'écouler.


Idée de génie : terminer, après ça, sur la chanson Unforgettable, la SEULE chanson qui pouvait clore un diptyque aussi phénoménal, et pourtant, qui d'autre que Pixar y aurait pensé ? Qui d'autre, franchement ?


Le Monde de Dory est un film de conteur, une démonstration ébouriffante de savoir-faire, ce qu'il ne faudrait surtout pas mésestimer à l'heure où des blockbusters brouillons et cyniques sont acclamés tant par le public que par la presse (j'en ai marre de les citer, vous les reconnaîtrez). Ce n'est probablement pas le plus grand film de son auteur (indétrônable Wall-E) d'autant plus que l'on concédera qu'il se dégage de la première demie-heure une désagréable impression de déjà-vu, et que les personnages de Marin et Nemo ne semblent pas toujours nécessaires à l'intrigue, mais c'est un film touchant et profondément intelligent, et en tout cas extrêmement rafraîchissant dans le paysage audiovisuel actuel.


Je pourrais revenir sur l'utilisation des plantes aquatiques dans le film pour signifier la notion de Temps (4). Ces plantes, vues dans le flash-back inaugural, réapparaissent ainsi à plusieurs reprises (c'est leur ondulation qui rappelle à Dory ses parents, et au moment de partir à l'aventure elle passe à travers ces mêmes plantes en compagnie de Marin, comme pour signifier le début d'un voyage dans le temps). Je pourrais revenir sur de nombreuses pistes de lecture, qui seraient toutes passionnantes à étudier, mais in fine ce film est le message d'un père à ses enfants, qui sont désormais assez âgés pour ne plus vivre chez lui : « N'oubliez pas vos parents » et « Si un jour vous vous rappelez de nous, on sera toujours là pour vous ».


Le Monde de Dory, grand film conceptuel et métaphysique, et surtout pas suite opportuniste "calée sur le modèle DreamWorks", comme on a pu le lire de-ci de-là.




1. Puisqu'elle découvre que ce qu'elle croyait jadis être la Grande Barrière de Corail était en fait un gigantesque aquarium.
2. Voir aussi cette séquence où elle et Hank, le poulpe à sept tentacules qui l'accompagne, au début bien malgré lui, échouent dans un bassin tactile à destination des enfants.
3. Le générique de fin redéploie cette idée.
4.
Là, celles-ci, mais je ne sais pas comment elles s'appellent (si quelqu'un veut bien me le dire...)

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le 26 juin 2016

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