Second film de Michel LECLERC, Le Nom des Gens est une comédie politique jubilatoire et profonde à la fois qui donne à réfléchir sur ce qui constitue réellement notre identité.

C'est l'histoire d'une rencontre entre deux personnages dont les noms sont source de préjugés et sur lesquels pèse une histoire familiale. Bahia Benmamhoud est une jeune femme délurée et ingénue, fille d'un immigré Algérien (Zinedine SOUALEM, formidable, tout en retenue et en douceur) et d'une française très militante. Extrêmement attachée aux valeurs de la gauche dans lesquelles elle a été élevée, elle mène une guerre acharnée contre tous ceux qu'elle considère comme « fachos », c'est-à-dire tous les gens de droite, avec qui elle couche pour mieux les convertir à sa cause. Elle rencontre Arthur Martin - « comme celui des cuisines » (Jacques GAMBLIN, très juste), ornithologue spécialisé dans les animaux morts et l'épizootie. Homme discret et jospiniste convaincu, il a grandi dans une famille emplie du tabou de la déportation des grands-parents où le vrai dialogue semble impossible. Nous découvrons ces personnages et leur histoire grâce à des flash-back peu conventionnels où Bahia et Arthur apparaissent et nous parlent de leur famille. Cette interaction avec le spectateur commence dès le premiers plan, Arthur nous parle, en face à face, dans un monologue regard caméra qui n'est pas sans rappeler celui de Woody ALLEN dans la scène d'ouverture d'Annie Hall. Arthur et Bahia se promènent dans leurs souvenirs et y sèment autodérision et questionnements tout comme le feront les deux incarnations du passé d'Arthur dans son présent. Ces flash-backs, visions subjectives, marquent par leur originalité et l'humour qui en émane.
Les traumatismes de l'enfance, et notamment les abus sexuels dont Bahia a été victime, sont abordés d'une façon très belle et pudique, l'image d'un piano sur lequel elle est incapable d'aligner trois notes suffisant à en faire ressentir tous le drame. L'épure de la mise en scène de Michel LECLERC donne ainsi lieu à des scènes magnifiques, comme celle, forte en symboles et en émotion où Arthur apprend la mort de sa mère, le cadavre d'un cygne dans les bras.

Le réalisateur réussit à faire de ce film un véritable « ascenseur émotionnel » pouvant nous faire passer du rire aux larmes en un clin d'œil. Grâce à un excellent scénario qui regorge d'idées, d'énergie et d'un sens aigu du dialogue, on se surprend à rire de sujets graves, puis tantôt après, à s'indigner contre cette société où les portes mécaniques du métro n'attendent pas que les « petits vieux » soient montés pour se fermer, où l'on n'a même plus le droit de sourire sur les photos d'identités et où l'obsession des origines et de l'identité est partout. Tout en se moquant des clichés et des préjugés, Le Nom des Gens comporte néanmoins une part assumée de caricature, d'emphase. Ainsi, le comportement de la mère de Bahia, lors de sa première rencontre avec Arthur, est peu vraisemblable, mais correspond au ton humoristique de l'œuvre qui se fiche pas mal de respecter les limites du réalisme. Au même titre, l'idée des crabes rejetés à la mer qui pourrait être, en soi, une vision un peu simpliste et mièvre de l'acte militant, prend tout son sens grâce à l'ironie du réalisateur qui nous montre Bahia devant un dilemme : faut-il mieux sauver sept crabes ou trois homards ? Bahia, personnage haut en couleur à la pensée naïve et manichéenne, est brillamment interprété par Sara Forestier qui pousse son personnage dans ses retranchements. Plus rien ne nous étonne dans cet univers où la réalité et la pure fantaisie communiquent, ni la vision de la distraite Bahia nue dans le métro (distraction qui lui jouera des tours dans la très drôle fin du film), ni l'arrivée de Lionel Jospin dans l'appartement du couple, présenté comme un cadeau.

La question de la politique a un rôle central dans Le nom des gens. En effet les débats d'idées sont nombreux, les opinions fusent, et les personnages y trouvent leur identité. Michel LECLERC critique notre société qui impose des comportements en fonction des origines, qui veut mettre les gens, les cultures, les groupes sociaux dans des cases de façon simpliste et manipulatrice. Il pointe du doigt l'importance des mots employés dans le discours des politiques qui ont trop souvent tendance à multiplier les amalgames. Les personnages revendiquent leur volonté de ne pas s'y conformer, leur droit d'avoir une culture arabe sans être musulman, par exemple. De même, Arthur entrainé par Bahia devant le mémorial de la Shoah lui reprochera avec humour de le « stigmatiser ». Le cinéaste ironise sur notre société et ses hommes politiques qu'ils soient de gauche ou de droite, bien que le nom des gens soit ouvertement un film de gauche.

Le Nom des Gens se pose comme une subtile réponse aux absurdes débats politiques sur l'identité nationale. Michel LECLERC y aborde des sujets multiples sur un ton très juste où l'humour et l'autodérision autant que la sobriété parfois glaçante sont de mise. Plein de vie et riche en situations cocasses, Le Nom des Gens nous emporte de surprise en surprise, au fil d'un scénario savoureux à l'écriture fine et intelligente. Une comédie euphorique et sombre à la fois qui ne laissera personne indifférent.
Elenore
8
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le 29 déc. 2010

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Elenore

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