C'’est peut-être parce que Humbert Balsan avait décidé de produire Tout est pardonné que la réalisatrice Mia Hansen-Lǿve s'’inspire pour Le Père de mes enfants du destin brisé d'’un homme (qu’'elle rencontra une quinzaine de fois) visionnaire à qui le septième art doit beaucoup (il contribua notamment à faire connaître le palestinien Elia Suleiman et l’'égyptien Youssef Chahine, et les françaises Claire Denis et Sandrine Veysset lui doivent aussi beaucoup). A partir de faits réels tragiques (Balsan et son double fictionnel Grégoire Canvel se suicident), Mia Hansen-Lǿve met en scène un film romanesque et intimiste qui questionne les moyens de survivre à un être aimé – comme dans son précédent opus, la figure paternelle et plus précisément la relation père-fille traversent toute la narration.

Divisé en deux parties, Le Père de mes enfants expose dans un premier temps le métier inconnu (et rarement montré à l’'écran) de producteur. Chargé de trouver l’'argent nécessaire et d'’agencer les différents tournages en cours, Grégoire est constamment pendu au téléphone, à son bureau, dans la rue, comme au volant de sa voiture pour rejoindre sa femme et ses trois filles dans leur maison de campagne. On déplore l’image stéréotypée que véhicule la réalisatrice. Vu comme un vulgaire homme d'’affaires – et Louis-Do de Lencquesaing peine à composer un homme supposé charismatique et charmeur – le producteur débordé et énergique demeure pour nous hermétique quant à ses choix et ses engagements. De même que la subite dégradation de son état, qui va le conduire au pire, reste à peu près incompréhensible. Tout juste retenons-nous les instants du week-end à la campagne où l’'attachement à la famille et le statut d'’un père puits de culture aimant partager et transmettre sont davantage perceptibles.

La notion de transmission imprègne en effet la seconde partie du film. Alors que Sylvia, digne et courageuse, envisage de reprendre le flambeau tout en découvrant l'’étendue de la catastrophe financière, Clémence, sa fille aînée, se lie avec le jeune cinéaste dont son père projetait de produire le premier film. On peut d’ailleurs voir dans ce personnage un double de la cinéaste. Si Mia Hansen-Lǿve évite tout effet appuyé et tout débordement lacrymal, elle recourt néanmoins à quelques artifices qui alourdissent inutilement le propos. Ainsi, la révélation du fils caché de Grégoire n'’apporte-t-elle pas grand-chose, si ce n’'est de laisser entrevoir une opposition entre le fils et les filles.

Le Père de mes enfants nous laisse sur notre faim : malgré sa générosité, il manque d’'envergure et ne réussit pas à faire de Grégoire le personnage attractif et influent qu’'on aurait aimé qu'’il soit, à la place de cette caricature finalement affligeante. Ensuite, Mia Hansen-Lǿve donne l’'impression de ne plus trop savoir vers quoi diriger son film qu’'elle leste de bifurcations futiles et dilatoires. On lui reconnaît cependant une mise en images douce et lumineuse et cette capacité unique à filmer les (très) jeunes filles. Mais le ton mélancolique et intime achoppe trop souvent sur les poncifs et le délayage narratif.
PatrickBraganti
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le 16 nov. 2012

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