Se glisser devant Little Fugitive, c'est en premier lieu contempler une partie de l'histoire du cinéma. Et pour ceux qui n'auraient pas conscience de son caractère « unique », l'édition DVD est là pour nous le rappeler gentiment. On apprend ainsi, par l'intermédiaire de l'universitaire A. Bergala, que cette péloche, a priori destiné aux mioches, constitue le « chaînon manquant du cinéma moderne » entre le néo-réalisme et la Nouvelle-Vague . On nous cite également Truffaut à ce sujet, sans oublier de nous préciser l'influence qu'a pu avoir ce film sur les carrières de cinéastes tels que Cassavetes ou Scorsese... Bref, tout ça pour dire qu'avant même d'avoir pu visionner une seule minute de ce film, on nourrit déjà à son égard des attentes sans doute bien trop grandes.
Car, il faut bien l'admettre, Little Fugitive est loin d'être mauvais ou inintéressant. Sa principale qualité réside dans sa dimension réaliste : plus qu'un banal film, c'est un véritable documentaire tourné sur le vif. Grâce à une caméra 35 mm, extrêmement compacte et légère, Morris Engel parvient à se glisser au milieu de la foule et à filmer sans être vu... Ce photographe de formation parvient ainsi, mieux que quiconque, à imprimer sur la pellicule des instants de vie foncièrement réalistes : on perçoit parfaitement le quotidien des quartiers populaires, on ressent la douce ambiance d'une sortie familiale au parc d'attractions et on est forcément attendri par les mimiques et le comportement d'un môme qui ne semble jamais jouer un rôle. Voilà où réside la grande force de Little Fugitive, dans sa capacité à témoigner d'une époque, d'une ambiance et d'une vie aujourd'hui révolue.
Seulement, pour moi, Little Fugitive est davantage une œuvre de photographe que de cinéaste. Car en dehors de ces clichés parfaitement exécutés, le reste du film est nettement moins bien maîtrisé. L'idée de départ n'est pas mauvaise en soi, même si elle semble un peu invraisemblable : on suit l'errance d'un gamin qui s'est enfui de chez lui en croyant avoir causé la mort de son grand frère. On se dit alors que notre réalisateur, avec sa caméra très discrète et son grand sens de l'observation, va pouvoir capter les émotions qui assaillent notre jeune héros. Seulement, celui-ci ne jouant pas un rôle, à aucun moment on ne verra apparaître à l'écran la moindre trace d'anxiété, d'inquiétude, de peur ou de remords. C'est bête à dire, mais pour que la fiction semble réelle, il faut un minimum de mise en scène et de direction d'acteur ! Et ici, on se contente de suivre les déambulations d'un gamin au milieu d'un parc d'attractions : c'est sympa ou attendrissant pendant quelques minutes mais ça devient vite lassant. Même le grand frère ne semble pas trop préoccupé par toute cette affaire, puisqu'on le voit glandouiller chez lui avant d'aller se prélasser à la plage, un comble. Morris Engel et ses compères nous livrent un film qui n'est pas inintéressant, d'un point de vue purement formel comme dans sa manière de restituer une époque à travers les yeux d'un enfant, mais qui aurait mérité un format plus court, voire une intrigue plus fournie, pour espérer être davantage qu'une simple curiosité.