Un déserteur de l'armée coloniale arrive au Havre,où il espère prendre un bateau pour fuir vers une destination lointaine.Mais en peu de temps il va s'attirer une série d'amitiés et d'inimitiés parmi les personnages louches qu'il rencontre et surtout il tombe éperdument amoureux de la jeune Nelly,une orpheline victime du mauvais sort.Boudiou qu'il a mal vieilli ce fleuron du réalisme poétique,spécialité du cinéma français des années 30.Pas besoin d'en chercher loin le responsable,c'est pas la faute à Voltaire mais plutôt à Prévert.En effet le grand poète Jacques Prévert,assez surestimé,signe ici le scénario et les dialogues de cette adaptation d'un roman de Pierre Mac Orlan et le résultat sent un peu la naphtaline.Beaucoup de films anciens affichaient une modernité les rendant intemporels mais ce n'est pas vraiment le cas de celui-ci.L'histoire n'est jamais convaincante avec cet anti-héros que tout le monde veut aider alors qu'il ne demande rien à personne et qui se révèle être un sale con agressif prompt à monter dans les tours à la moindre contrariété,même vis-à-vis de ceux qui lui rendent service.En moins d'une journée il arrive à se faire plein de copains parmi les exclus du secteur et à s'embrouiller avec les malfrats locaux,tout en vivant une romance passionnée avec une très jolie fille âgée de seulement 17 ans mais qui a quand même quelques heures de vol au compteur si on comprend bien.Tout ça ne tient pas trop debout et les dialogues n'arrangent pas les choses.Les protagonistes emploient un langage littéraire verbeux et grandiloquent peu en phase avec leur statut social,vu qu'ils n'ont absolument rien d'intellectuels.On comprend bien que Prévert recherche un effet poétique emphatique mais ça ne fonctionne pas car entendre ces laissés pour compte des bas-fonds s'enivrer de grandes phrases à visée philosophique est plutôt ridicule.Certes dans "réalisme poétique" il y a "poétique",mais il y a aussi "réalisme" et l'auteur semble l'avoir oublié.Du coup c'est mal dosé,excès d'ambition sans doute.Dommage car les ingrédients étaient là:un port sinistre,du brouillard,un loser flamboyant,une ingénue éperdue d'amour,des comparses truculents et des voyous hargneux,tout paraissait favorable à un grand mélo mâtiné de film noir,d'autant que l'équipe technique et la distribution sont extraordinaires.C'est l'immense Marcel Carné,monsieur "pas un plan inutile",qui est aux commandes et fait preuve de sa dextérité coutumière.Cadrages parfaits,mouvements d'appareils implacables,fluidité des enchaînements,maîtrise de la narration,il déroule sa mise en scène au cordeau avec son impressionnant savoir-faire,et il a du beau monde avec lui.Le chef-op Eugen Schüfftan délivre une image d'un noir et blanc déprimant aux lisières du fantastique,jouant habilement de la brume et des pavés luisants d'humidité.Alexandre Trauner,la Rolls des décorateurs,a créé des lieux originaux et fait sans coup férir passer les Studios de Joinville pour la Normandie.Maurice Jaubert a composé une musique aux accents tragiques qui accompagne idéalement l'action,tandis que le montage est dû à René Le Hénaff,qui a aussi fait une carrière de réalisateur.Les comédiens,handicapés par l'écriture exaltée de leurs personnages,sont souvent condamnés à surjouer,ce qui est regrettable car là aussi c'est la dream team.La vedette,c'est Jean Gabin,pas à son meilleur en l'occurrence,dont le rôle consiste soit à gueuler soit à être mutique,ce qui limite la palette de jeu.Il est curieux de le voir en déserteur,lui qui lors de la guerre qui n'allait pas tarder à éclater rejoignit les Forces Françaises Combattantes et y fit preuve d'un grand courage.Sa partenaire Michèle Morgan s'en sort mieux,interprétant avec une certaine sobriété une jeune femme malmenée par l'existence et se reposant sur sa beauté terrassante et son regard magnétique.Parmi le bataillon de seconds couteaux de génie on remarque particulièrement Michel Simon,grandiose en "honnête commerçant" trempant dans des affaires glauques et convoitant sa pupille,un Pierre Brasseur gigantesque en pâle voyou se prenant pour un caïd,d'une lâcheté et d'une veulerie incroyables,ou ce fou furieux de Robert Le Vigan en peintre suicidaire qui "voit les choses qu'il y a derrière les choses".Aimos en fait comme souvent trop en semi clodo alcoolo,voleur et gouailleur, Edouard Delmont n'est guère crédible en patron de buvette élégant recueillant les âmes égarées au fond d'une cabane minable,et René Génin manque de relief en médecin de marine accueillant.Il y a aussi deux acteurs aux gueules marquantes qui deviendront beaucoup plus tard des familiers des films de Mocky,Marcel Pérès et Roger Legris.

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le 20 déc. 2021

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