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"It don't take no big thinking to figure a couple of guys like us ain't in this bananaville on a vacation!"


Le film noir a été le support par excellence de l'enquête policière, il me semble, au cours des années 1940 et 1950 : avec ses archétypes et sa ligne de démarcation très nette entre le bien et le mal, il a très régulièrement été le vecteur d'un témoignage en immersion au sein de l'institution policière (avec ou sans description omnisciente des agissements des malfaiteurs) pour en vanter les mérites et pour détourer à traits épais les contours d'une morale souvent pataude, avec le recul. Certaines approches relèvent même du semi-documentaire, en relation avec la volonté de décrire en détails les événements ou de retranscrire des faits réels, versant parfois dans le panégyrique — comme par exemple le peu connu He Walked By Night de Alfred L. Werker et Anthony Mann (1948) vu récemment.


Alors forcément, quand la recette subit quelques modifications notables, le résultat détone. Le Quatrième Homme (Kansas City Confidential en version originale, tant qu'à y être, afin de limiter la confusion avec la version française du titre du film de Paul Verhoeven) se présente sous la forme d'une variation de film noir, amorçant son intrigue dans les règles de l'art : préparation d'un gros coup par une bande de malfrats, mise à exécution, et gestion des suites avec tout son lot d'imprévus. L'intérêt du film de Phil Karlson survient assez vite : c'est un projet se basant sur le détournement de nombreux codes et passages attendus du genre, et le moindre écart vis-à-vis du registre aussi solidement codifié que le film noir provoque des effets surprenants et appréciables.


On est au tout début des années 50, c'est-à-dire pas tout à fait l'époque de questionnements moraux clivants répandus en place publique, et Kansas City Confidential fait mine de prolonger le classicisme manichéen du film policier, dans un premier temps (les voyous sont des salauds prêts à tout, les policiers des hommes à la recherche du bien, un encart initial nous prévient : "It is the purpose of this picture to expose the amazing operations of a man who conceived and executed a perfect crime"), pour mieux le dévoyer en cours de route. C'est le personnage de Preston Foster qui contient l'essentiel de cette charge : la révélation surviendra longtemps après que l'essentiel des nœuds dramatique a été éventé, le cerveau de l'opération n'est autre qu'un ancien flic poussé vers la sortie suite à un scandale qui cherchera à se venger en organisant lui-même un casse puis en livrant les auteurs engagés par ses soins à la justice, touchant au passage la récompense de 25% du montant dérobé garantie par les assurances. C'est un personnage ambivalent par définition, flic et bandit, manipulateur pervers et père de famille aimant, qui contraste largement avec les clichés de l'époque.


Pour le reste c'est la galerie de tronches célèbres de l'époque qui régale : Jack Elam avec ses yeux globuleux et fuyants, Lee Van Cleef en grand nerveux au sourire féroce, Neville Brand en gros bourrin décérébré, et au milieu John Payne en petit fleuriste innocent mais piégé, coupable aux yeux de tous à cause de son passif et sur lequel tombera une police bien arrogante. Le casting est complété par deux figures féminines, Coleen Gray en femme pure et naïve peu convaincante et Dona Drake ayant tous les qualificatifs inverses. Le charme de cette série B noire tient enfin aussi à la configuration de l'arnaque, puisque le policier corrompu à la manœuvre instaure une série de règles pour mener à bien le casse : lui seul connaît l'identité des autres gars de la bande (les masques ont une importance première dans le film), il donne une moitié de carte à chacun comme code à transmettre lorsqu'ils se retrouveront tous, il impose un partage du magot longtemps après le coup et dans une contrée lointaine... Autant de particularités qui essaient de produire une certaine originalité, mais qui aussi montrent vite leurs faiblesses — on voit bien toutes les failles à venir qui permettront à certains personnages de saper ce plan censé être parfaitement étudié. De même le troisième et dernier temps, consacré à l'attente des bandits avant de toucher leur dû, tourne un peu en boucle une fois l'imbroglio initié, avec sa romance un peu artificielle et sa tension un peu répétitive. Malgré les revirements moraux de fin un poil convenus, le film parvient à tisser une belle toile de contraintes qui unit les différents intervenants, partagés entre désir de vengeance, mensonges difficiles à tenir, appât du gain, et recherche de la vérité.


https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Quatrieme-Homme-de-Phil-Karlson-1952

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le 14 mai 2024

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Morrinson

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