King of Kings (Nicholas Ray, U.S.A, 1961, 2h48)

Afin d’adapter la vie du Christ au cinéma, deux positions peuvent être adoptées : montrer frontalement Jésus, ou juste une silhouette définie par son ombre. Filmée de dos, le bras tendu pour accomplir un miracle. Cette seconde méthode évite de provoquer l’ire des pratiquants les plus extrêmes, pour qui aucune représentation ne sera de toute façon digne de la sacralité des écrits.


Avec ‘’King of Kings’’, Nicolas Ray fait le choix de présenter jésus comme un être humain. Un prêcheur charismatique, promettant monts et merveilles à quiconque accepta de le suivre, avec ses douze compagnons. Passant très vite sur la naissance et son enfance, le récit central débute lors de sa rencontre avec Jean-Baptiste, dans le Jourdain. S’ensuit l’épopée épique de son parcours Judéen, jusqu’à son entrée dans Jérusalem.


Adaptation méticuleuse, rien dans ce film ne semble être dû au hasard, laissant une fois de plus toute la dimension ‘’magique’’ des écrits de bases au second plan. Une fois n’est pas coutume, c’est par la résurrection de Lazare que cela se perçoit. Devant la tombe, seule l’ombre et le bras du Messie sont visibles, alors qu’il redonne vie au cadavre.


Comme dans le Nouveau Testament, la résurrection de Lazare est un passage ambiguë, laissé à l’interprétation des personnes en présence, comme des lecteurs mis dans la position de choisir si ce qu’ils voient est vrai ou non. Il en va de même dans le film, qui reprend ici la même approche que dans ‘’The King of Kings’’ de Cecil B. de Mille en 1927.


Pour ce qui est du reste des miracles, ils sont évoqués comme une liste, par un centurion donnant les nouvelles d’un Jésus perturbateur, à un Ponce Pilate particulièrement caricatural. Sombrant à plus d’une reprise dans le stéréotype du méchant sans nuances. Comme pour Jésus, qui dans une tradition protestante liée à l’Amérique, se veut plus proche de la réalité. Sans pour autant être un personnage complexe, bien au contraire.


Habitué à mettre en scène une jeunesse américaine en révolte, Nicholas Ray semblait être le metteur en scène parfait pour cette histoire. Puisque le Christ apparaît très jeune, ce qui n’épargnera pas au film de nombreux reproches. À commencer par le choix du rôle principal, tenu par Jeffrey Hunter, alors une star montante tout juste âgé de 33 ans. Son physique juvénile sera sujet à moqueries au sein d’Hollywood, qui le surnommera ‘’Teenage Jesus’’.


Hunter s’est pourtant donné pour le rôle, subissant un lourd maquillage, pour mieux ressembler à l’idée contemporaine de ce à quoi doit correspondre Jésus, soit un homme du Moyen-Orient. Il dû même se faire raser le torse et les avant-bras, intégralement, pour retourner la scène de la crucifixion. En effet, lors des projections test le public s’offusqua de voir un Jésus poilue… L’Amérique, comme on dit…


Voilà un bel exemple de l’époque à laquelle il est sorti, car ce n’est pas tout. Malgré le port d’une prothèse nasale, le choix fût fait de lui laisser les yeux bleus, naturels chez Jeffrey Hunter. Source supplémentaire de reproches. Pour l’anecdote en 2004 à la sortie de ‘’Casino Royal’’, le public le plus radical fût scandalisé d’avoir affaire à un James Bond aux yeux bleus. Donc bon…


‘’King of Kings’’ apparaît aujourd’hui comme une œuvre bien moribonde, une transcription fidèle et peu réflexive des Évangiles. Le message transmis est le même, avec le souffle épique made in Hollywood en plus. Qui n’est pas sans y apporter aujourd’hui un charme désuet, non dénué d’une certaine poésie. Mais un peu plombé par une classicisme anachronique, à une période où la contre-culture, menée par la Beat Generation, prend racine au sein de la société.


Dès lors il devient intéressant d’observer la séquence où Salomé danse, de manière absolument suggestive, pour amadouer Hérode-Antipas, le roi de Judée, afin d’obtenir la tête de Jean-Baptiste retenu prisonnier. La danse érotique est montrée durant de longue minutes, alors que l’actrice Brigid Balzen était âgé de 16 ans. Ce qui en plus d’être malsain, est également une façon maladroite de présenter une jeunesse dépravée en perdition face à l’establishment.


Manquant cruellement d’un tant soit peu de nuance, à trop vouloir faire de Jésus et ses compagnons des saints vertueux, ils deviennent des stéréotypes de bienveillances. Judas, interprété par Rip Torn, est en ce sens équivoque. Dès le départ il est présenté comme méchant, et toute la construction du personnage n’est conditionné que par son acte final. En tant que spectateur, nous sommes conscients de qui est Judas, ça n’est pas nécessaire de rappeler sans cesse qu’il va trahir.


Avec Hérode-Antipas, Salomé et Ponce Pilate, ce sont là les grands méchants du récit, auxquels s’oppose le Christ et ses fidèles. Par sa démonstration aseptisée des écrits bibliques des plus dommageable, le film apparaît aujourd’hui comme un peu ‘’forcé’’, manquant cruellement d’authenticité. Celle qui permet de s’identifier aux personnages. Or, Jésus est inaccessible, sa nature empiétant sans cesse sur sa représentation cinématographique.


Très conventionnelle, c’est une œuvre classique, évitant toutes incartades avec le support initial. Ça rend le personnage principal un petit peu froid et fade, c'est juste un homme bon, qui porte les pêchers de tout le monde, sans nuance. Un peu brisé, il donne parfois plus l’impression d’être stone, que d’être le Messie détenteur de la parole de Dieu.


À défaut de trouver une véritable authenticité Nicholas Ray semble proposer une évocation, un peu à côté de la plaque, d’une vie de Jésus à l’aune des années 1960. Soit dans une Amérique qui se renouvelle. La Seconde Guerre Mondiale est loin, un jeune président porteur d’espoir est élu, l’avenir semble radieux pour la plus grande puissance mondiale. Dès lors, il est possible de voir en ce jeune Jésus, ainsi que ses proches, un écho de la jeunesse issue du Baby-Boom.


Ceux qui ont rejeté l’establishment de l’American Dream, et qui testent les vraies limites des valeurs et des traditions, au cœur d’une société immobilisée dans son propre prestige. Il y a donc dans ‘’King of Kings’’ cette dimension générationnelle, qui vient alerter toute une génération sur le bien-fondé des écrits bibliques et le respect à leur apporter.


Une lecture qui permet, malgré des défauts et quelques longueurs, de donner un sens à ‘’King of Kings’’. Qui est la vision d’une génération sur le point de laisser sa place à une autre (Nicholas Ray a 50 ans à la sortie du film), par l’entremise d’un Épique Biblique qui tient malgré tout la route. Accusant le poids des années, sa nature universelle lui permet tout de même de rester ‘’actuel’’.


Péplum réussi, reconstitution crédible de la Judée en période d’occupation romaine, le tout sous l’égide du Grand Hollywood. Particulièrement conventionnel, sans l’ombre d’une audace, ce qui plane au-dessus de l’ensemble est une crainte de décliner, ou étoffer un récit particulièrement codifié, source de nos sociétés modernes. Rien que ça.


Ce n’est donc pas juste un conte, puisque ses formes sont bien plus ‘’sacrées’’, ce n’est pas non plus tout à fait du mythe, mais bien une adaptation théologique. Celle d’un texte religieux concernant au bas mot des milliards d’adeptes. Voilà pourquoi transposer la vie de Jésus sur grand écran demeure en soit un véritable challenge, qu’il est impossible de gagner d’avance.


-Stork._

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le 28 avr. 2020

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