Vingt-sept ans après La Bergère et le Ramoneur sort une nouvelle version du film bien plus aboutie que la précédente appelée Le Roi et l'Oiseau
Les Gémeaux ayant mis la clé sous la porte en 1954, Grimault fonda sa propre société de production Les Films Paul Grimault pour réaliser son véritable film. quarante minutes du film original furent conservées tandis que vingt-trois furent supprimées. Quarante-cinq minutes furent ajoutées dans la nouvelle version, ce qui donna un film d'une heure vingt-cinq loin de la trop brève durée du film original dépassant à peine l'heure.
La production et création ne furent pas faciles certains membres de l'ancienne équipe ayant pris leurs retraites ou étant carrément décédés. Le casting, pour n'évoquer que lui pour l'instant, a dû être entièrement retravaillé. On peut, par exemple, citer Serge Reggiani étant devenu trop âgé pour reprendre le rôle du ramoneur qui a été remplacé par Renaud Marx.
Un seul membre du casting original revint pour interpréter une seconde fois son rôle; Roger Blin qui était l'Aveugle dans La Bergère et le Ramoneur le redevint dans Le Roi et l'Oiseau.
A présent, parlons du film en lui-même.
Pour commencer, le scénario de Le Roi et l'Oiseau semble être le même que dans La Bergère et le Ramoneur à savoir une bergère et un ramoneur vivant un amour harmonieux mis en péril par un Roi méchant et égoïste voulant enlever la bergère contre son gré pour l'épouser.
Mais si le contenu des deux films est le même, la forme, elle, est radicalement différente de celle de son prédécesseur.
En effet, dans Le Roi et l'Oiseau, le Roi est bien plus terrifiant que dans La Bergère et le Ramoneur. Ce n'est plus un souverain arrogant, capricieux et égoïste mais un monstrueux dictateur meurtrier dirigeant un Royaume immense d'une architecture massive, morne, austère et vide de vie. Chose qui nous est souvent rappelée à travers des scènes contemplatives où on montre Takicardie comme un Royaume imposant mais où l'on croise rarement âme qui vive.
On est ici bien loin de La Bergère et le Ramoneur se déroulant de scènes en scènes d'un lieu à un autre dans un Royaume de Takicardie limité à quelques décors nécessaires uniquement pour le scénario et non pas pour créer une ambiance.
Revenons-en au Roi. Le fait que ce souverain glacial impose sa tyrannie sur tout ce qui bouge, pas seulement sur notre couple de protagonistes amoureux mais aussi sur une population tantôt endoctrinée, tantôt asservie dans des scènes et plans où dominent l'hypocrisie de la bourgeoisie ou la morbide pauvreté des classes populaires renforce la menace devenant ainsi plus crédible aux yeux des spectateurs.
Maintenant, qu'en-est t-il des autres personnages?
"Assassin! Parfaitement, je le dis et je le maintiens. Assassin!" crie l'Oiseau au Roi après que celui-ci ait tué sa femme et tenté de faire de même un de ses enfants au début du film.
"Misérable! Me parler sur ce ton!" répond le Roi avant de tenter de tuer l'Oiseau.
En voyant ces faits et gestes, nous comprenons tout de suite que le volatile n'est plus un simple adjuvant de ceux qui étaient les héros du film original mais une représentation de la bourgeoisie contestataire contre le pouvoir en place et que le Roi est le symbole, hélas, intemporel des dictateurs sanglants et tyraniques ayant existés et, malheureusement, existant encore dans notre monde.
Le film ne manque jamais de nous le rappeler en montrant ce souverain terrifiant punissant violemment son peintre d'avoir représenté un portrait trop réel du Roi et non pas une image idéalisée comme le reste de ses oeuvres...
...ou encore prêt à nuire à des populations pour atteindre un objectif.
Bien que l'Oiseau passe son temps à tourner le Roi en ridicule lui faisant ainsi ravaler sa fierté de manière théâtrale...
https://youtu.be/RDQLgG4hwWY?t=147
...cela n'est, hélas, pas suffisant pour que le dictateur soit déchu et permettre au peuple de ne plus être démuni.
Mais alors et la romance des protagonistes qui allait jusqu'à donner à nos amoureux leurs noms au titre du film précédent me demanderez-vous?
Et bien, si elle était au centre de l'intrigue dans La Bergère et le Ramoneur, dans Le Roi et l'Oiseau, elle est au second plan et n'est plus qu'un prétexte pour inciter le peuple à se rebeller contre une dictature assassine et dangereuse.
En effet, là où dans le conte original La Bergère et le Ramoneur d'Andersen, les deux protagonistes renoncent à leur projet d'évasion terrifiés par l'immensité du monde, dans Le Roi et l'Oiseau (tout comme dans le film La Bergère et le Ramoneur d'ailleurs), nos tourtereaux assument leur évasion jusqu'au bout même s'ils doivent faire face à un monde chaotique qui les dépasse.
Un monde où l'on voit Takicardie avec une bourgeoisie et une noblesse corrompues ridiculement maniérées, prêtes à tout pour bien se faire voir du Roi et la Ville Basse avec ses habitants privés de libertés, pauvres et démunis, condamnés à subir la violence du régime royal; et ne pouvant survivre qu'en fabricant des monuments à l'effigie du Roi. Ainsi, le film n'hésite pas à nous montrer l'asservissement de l'art au service d'un régime totalitaire de manière malaisante où la représentation cruelle a remplacé la création libératrice. Quand l'Oiseau et le Ramoneur sabotent les statues du Roi, celui-ci les fait enfermer dans un cachot remplis de lions carnivores. Quand la Bergère refuse de céder au Roi, celle-ci est enlevée par ce dernier contre son gré pour l'épouser et changer ses vêtements légers en une lourde robe de mariée bien trop grande pour elle.
En dehors de Takicardie, le giganstesque chaos du Royaume est représenté par un robot imposant et terrifiant.
Vous souvenez-vous de ce que j'ai dit dans ma critique de La Bergère et le Ramoneur?
"le robot est une abomination: [...] dans La Bergère et le Ramoneur, il ressemble à une immense patate grise avec des membres et une tête trop fins pour sa silhouette plus large que longue. Sans compter le fait que, parfois, il court dans des décors sans arrière-plan; ce qui montre bien que Sarrut était si pressé de finir le film qu'il en a négligé beaucoup de parties."
Et bien, dans Le Roi et l'Oiseau, le robot est l'exact opposé: immense, massif, imposant, terrifiant et violent.
De plus, on ne sait jamais s'il peut être totalement dangereux ou fiable et amical. En effet, quand il est entre les mains du Roi, il est l'équivalent d'une bête féroce mais entre les mains de l'Oiseau, il est fébrile avant de devenir totalement indépendant au point de détruire le monde morbide de Takicardie.
Maintenant que nous avons parlé du fond, de la forme et du contenu, consacrons-nous à un, si ce n'est le plus célèbre aspect du film: la musique. Bien que les chansons de La Bergère et le Ramoneur aient été conservées...
(comme celle-ci...
https://www.youtube.com/watch?v=Fov7DpFzFdw )
...le reste de la BO a été totalement effacée afin de laisser place à une autre dans Le Roi et l'Oiseau.
Alors que celle de Joseph Kosma était correcte sans plus, celle de Wojciech Kilar est tout simplement magnifique. Que ce soit le leimotiv du film...
https://www.youtube.com/watch?v=yqgMlEM9kBY
...ou encore les scènes de tension...
https://www.youtube.com/watch?v=pkUSe0mECQM
...on est pris aux tripes du début à la fin la musique représentant à elle-seule toutes les émotions des personnages et toutes les situations qu'elles soient mélancoliques, même tragiques ou même comiques...
...car, en effet, ce n'est pas parce que le film est majoritairement adulte que l'humour est aux abonnés absents comme le montre ce passage hilarant...
Comme vous le voyez en lisant, je serais capable de vous parler de ce film pendant des heures tant il m'a marqué et me marque encore aujourd'hui. Et je n'ai même pas dit tout ce que j'adore dedans...
...les policiers idiots représentant une autorité ridiculisée à chaque instant, l'adorable chien du Roi qui se mets finalement du côté des protagonistes, les lions féroces charmés par la musique du mélancolique Aveugle optimiste qui deviennent des êtres compatissants face au malheur du Ramoneur et incités par l'Oiseau à se révolter contre le Roi, les gens démunis de la Ville Basse n'ayant jamais vu le soleil nous faisant pleurer en croyant que les lions sont des oiseaux...
Néanmoins, je vais vous montrer la scène finale qui me fait pleurer à chaque fois que je vois le film
Certes, contrairement à La Bergère et le Ramoneur qui se terminait sur un happy-end traditionnel où tout le monde vivaient heureux, Le Roi et l'Oiseau, lui, a choisit de faire une fin mélancolique où on ne sait pas ce que sont devenus les personnages.
Mais cette scène où ce gigantesque robot en position, Le Penseur de Rodin, fait preuve d'humanité au point de détruire le dernier piège de Takicardie montre que même dans un monde triste et chaotique, l'espoir est toujours là. Espoir symbolisé par un oiseau nous disant que si nous nous en donnons les moyens, nous pouvons métaphoriquement prendre notre envol vers un monde meilleur où le bonheur est possible.
Ainsi, Le Roi et l'Oiseau, film au scénario pourtant classique en apparence se révèle être un chef-d'oeuvre beaucoup plus adulte qu'il n'y parait. Largement au-dessus de La Bergère et le Ramoneur qui n'était qu'un conte romantique divertissant, Le Roi et l'Oiseau est une apologie de la révolte des classes populaires et modestes contre les puissants corrompus montrant un message intemporel que l'on a pas le droit d'oublier sous peine de perdre notre individualité et faire respecter nos désirs et nos droits.
Plus que recommandé, j'affirme haut et fort que vous DEVEZ voir ce film car si vous ne le faites pas, vous manquerez une oeuvre primordiale à votre vie.
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Créée
le 24 juin 2022
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