Le Rôle
6.7
Le Rôle

Film de Shyam Benegal (1977)

Je ne sais pas si c'était un choix éditorial ou non mais le Forum des Images a diffusé Le rôle le lendemain de Fleurs de papier qui possède de nombreuses similitudes thématiques.


On y suit la carrière d'une petite fille contraint de faire carrière dans la cinéma, pratiquement vendue par sa mère à un studio lors du décès de son père et qui malgré ses succès continuera d'être vue comme une femme dépravée à cause de la réputation du monde cinématographique.


Comme dans Fleurs de Papier, on trouve une construction en flash-back, bien que constituée de plusieurs blocs (dans un très beau noir et blanc sépia), qui est mieux gérée que le classique de Dutt. Dénuée de pauses humoristiques, le rôle m'a plus satisfait d'un strict point de vue de l'implication émotionnelle. Le scénario prend plus son temps pour décrire et définir la méfiance d'une certaine aristocratie intellectuelle envers le 7ème art et surtout l'histoire est doublée d'un très beau portrait de femme, perpétuellement exploitée par une société phallocrate encore forte aujourd'hui, surtout dans le nord du pays. Pour ça Le Rôle parvient bien à traduire l'hypocrisie des indiens envers ses actrices (et la sexualité de manière générale), pur objet de fantasme désirable qu'on condamne en même temps pour immoralité. La pauvre héroïne passera ainsi son temps à être manipulée par les différents hommes (et parfois femmes) de sa vie : sa mère qui la force à devenir musicienne/chanteuse puis comédienne tout en la fiançant très tôt, son mari qui la force à rester contre sa volonté dans ce milieu pour profiter de son argent, un partenaire à l'écran, un auteur athée et cynique, un deuxième mari faussement ouvert qui révèlera rapidement un visage autoritaire et conservateur au plus haut point.


Le film est un peu déstabilisant au début car l'héroïne est dès le début du film brisée par la vie et ses rencontres. De plus la société indienne étant ce qu'elle est, ses possibilités de révoltes ou d'échappatoires sont quasi inexistantes. L'ambiance du film est donc résignée et passive, comme un cri de rage contenu trop longtemps au fond de la gorge qui aurait rendu aphone. L'impression de froideur n'est donc qu'apparente et plus le film progresse plus sa force sous-terraine se fait violente. Et de nombreuses scènes en deviennent remarquables (l'écoute du disque chez le voisin condescendant, la tentative de suicide à deux, les retrouvailles avec sa fille fiancée, la prison dorée de la fin, ...)


Ce très beau drame est de plus une courageuse tentative de démystification de l'univers même du cinéma indien (fabrique à fantasmes absolues où les actrices sont souvent réduites à un simple prénom d'ailleurs) avec quelques moments sur les plateaux de cinéma qui montrent des tournages loin d'être aussi glamour que sur l'écran avec des danseuses qui se blessent, sont exténués et dont les chorégraphies sont avant tout établies par un homme.


Le genre de film qui vieillit très, très bien.

anthonyplu
7
Écrit par

Créée

le 31 janv. 2017

Critique lue 166 fois

anthonyplu

Écrit par

Critique lue 166 fois

Du même critique

A Taxi Driver
anthonyplu
7

Maybe you can drive my car

L'ancien assistant de Kim ki-duk revient derrière la caméra après 6 ans d'absence. Il porte à l'écran une histoire vraie, elle-même plongée au cœur d'une page sombre de l'histoire sud-coréenne soit...

le 22 oct. 2017

16 j'aime

1

Absences répétées
anthonyplu
9

Absences remarquées

N'ayons pas peur des mots : voilà un chef d'oeuvre déchirant. C'est une sorte de cousin Au Feu follet de Louis Malle avec cette solitude existentielle et son personnage dans une fuite en avant vers...

le 8 oct. 2014

11 j'aime

2

The Crossing Part 2
anthonyplu
6

Comment créer une voie d'eau en voulant éviter l'accident

Grosse panique à bord après l'échec cuisant du premier épisode. Pour essayer de ramener le public dans les salles pour ce second opus, le film a été fortement remanié : reshoot et remontage en...

le 5 juil. 2017

9 j'aime