N’en déplaise à certains, je vais être obligé de vous parler un peu de moi pour présenter ce film que, semble-t-il, vous êtes nombreux à avoir vu.

Lors de sa sortie, le film était déjà précédé depuis de longs mois par une réputation encourageante : et si, pour, une fois, le chef d’oeuvre inadaptable de Tolkien était rendu convenablement sur grand écran ? La tentative bancale et incomplète de Ralph Bakshi ne saurait véritablement remplir une place que ni John Boorman, parti se consoler en adaptant l’épopée arthurienne ni George Lucas, qui s’est gaillardement rattrapé de sa déception sur Willow, n’avaient pu mettre en branle au vu de l’incroyable complexité de l’ensemble et des limites trop manifestes des effets spéciaux d’alors.

Et puis, les images commençaient à sortir, les indications de casting semblaient prometteuses, même le choix assez incongru de Peter Jackson pour diriger le tout devenait de moins en moins gênant avec le temps… C’était comme si, pour une fois, les conditions quasi-impossibles à réunir pour adapter ce sommet du roman d’aventures s’étaient mises d’accord pour être au rendez-vous : des moyens pharaoniques, la certitude de ne pas s’arrêter avant l’achèvement du troisième film et surtout, le respect esthétique de l’œuvre.

Parce que tout de même, ce n’est pas parce que les ouvrages sont sortis sans illustrations que la Terre du milieu ne possède pas en propre une sorte d’imagerie plus ou moins officielle forgée au fil du temps par certains illustrateurs spécialisés. Outre Tolkien lui-même, il faut citer Alan Lee, John Howe, Ted Nasmith et des dizaines d’autres qui ont forgé petit à petit une sorte de familiarité visuelle avec l’œuvre bien avant que les diverses adaptations ne voient le jour.

Et là, miracle, pour une fois, les producteurs associaient pleinement les dits illustrateurs au projet, chargeant Grant Major de composer d’après ces images, dont certaines étaient déjà largement ancrées dans l’imaginaire collectif, les décors véritablement formidables qui sont probablement le point fort du film, aidés en cela par les paysages vertigineux de la Nouvelle Zélande natale du bon Peter…

Alors, vu comme ça, le projet devenait tout ce qu’il y a d’honorable, l’absence de films épiques depuis des lustres sur les écrans aiguisant aussi l’envie, je me suis fendu comme tout le monde de mon billet pour aller voir ce qui me manquait depuis si longtemps : du grand spectacle.

L’impression, sympathique mais mitigée s’est vite retrouvée prise dans un tourbillon propre aux succès démesurés, très vite, des hordes de fans en furie se sont chargés de m’expliquer que la véritable œuvre ne se trouvait que dans la version longue sortie un an plus tard en DVD, concept un peu idiot à mes yeux, mais bon, si ça permet d’éviter de voir toute la bande revêtue sans explications d’une cape elfique de camouflage d’un plan à l’autre, moi j’étais plutôt pour, restait à tomber un jour sur la version en question…

Je suis finalement tombé dessus hier, grâce à ce bon Hypérion et je sors seulement de la vision de cette fameuse version longue qu’on me vante depuis plus de dix ans, en attendant les suites demain dans le même format, bien sûr…

Alors, oui, c’est un peu arrivé pendant les deux minutes de somnolence que deux dures journées de travail sans sommeil et quelques litres de bière apéritives avaient rendues inévitables, mais je crois bien que dans cette version, au moins, le coup des capes est convenablement expliqué.

Pour le reste, quelque part, c’est de l’ouvrage correct, du bon film d’aventures contemporain, avec une musique omniprésente un peu entêtante, des grosses bagarres, des chevauchées fantastiques, des acteurs pas tous mauvais, un monde féérique dans des décors superbes et donc, un travail un peu respectueux de l’artiste original et de ses épigones, soit tout ce qui fait un divertissement propre du dimanche soir, ce qui est déjà énorme en soi.

Bon, après, le film est tout sauf une réussite complète, l’aveuglement que vous trouverez ici et là parmi les très nombreux thuriféraires de cette trilogie ne doit pas obligatoirement se révéler contagieux. La profondeur et la subtilité du livre ont disparues sans coup férir, de jolis paysages ne suffisent pas à faire du cinéma et il faut passer sur beaucoup de défauts pour profiter pleinement du spectacle.

Tout d’abord, si le casting est globalement de bonne tenue, il possède des points faibles extrêmement gênants en tête desquels il faut bien sûr placer l’abominable Elijah Wood qui va transformer de film en film un personnage déjà pénible en quelque chose de véritablement insupportable.
A ses côtés Sean Astin ressemble à Sam Gamegie comme moi à une poule d’eau, mais le problème vient surtout du massacre absolument catastrophique de la relation entre les deux personnages qui transforme le lien classique tout britannique master and servant en quelque chose de plus démocratisé lorgnant farouchement vers le crypto-gay hors sujet. Quand on pense à la force du Sam d’origine, on ne peut que désespérer de ce criminel blasphème.
Les deux autres Hobbits s’en sortent beaucoup mieux, surtout Billy Boyd en Peregrin Touque, le seul qui semble avoir la moindre connaissance de ce à quoi est supposé ressembler un semi-homme.

Le reste de la troupe passe à peu près, Ian McKellen n’avait pas encore poussé son sourire malicieux jusqu’à l’écoeurement et fait donc un très chouette Gandalf, Viggo Mortensen ne peut s’empêcher d’en rajouter une couche de héros torturé mais on lui pardonne son Aragorn tout de même, John Rys-Davies est méconnaissable mais a une tronche de nain, donc ça suffit, Christopher Lee étrenne le rôle qu’il va jouer jusqu’à l’usure dans une demi-douzaine de films les années suivantes, Star Wars inclus, Cate Blanchett est parfaite, Hugo Weaving insignifiant sans être nocif, Liv Tyler est une très joli Elfe dans l’action et un disgracieux petit cochon dans la romance, Ian Holm joue toujours très bien les petits, Sean Bean trouve enfin un moyen de passer dans sa carrière des rôles de petites crevures à ceux de futur vieux sage et Orlando Bloom est déjà affreux mais on ne le voit pas encore trop… enfin, il ressemble déjà plus à un personnage de jeux vidéos qui aurait un super pouvoir d’archer qu’à Legolas, mais ça empire tellement après, que je préfère l’insulter tout mon saoul demain.

Beaucoup d‘autres choses hideuses à noter tout de même : des batailles numériques de cinématique lors d’une intro un tantinet lourdingue, des petits couacs sur les tailles respectives, un Isengard douteux, les yeux de Gollum, un troll des montagnes absolument indéfendable, le Balrog, quelques gros plans déformés de film Z et surtout des Orques grotesques et répugnants qui vont faire beaucoup de mal à l’esthétique d’ensemble.

La version longue ne peut hélas compenser les lacunes terribles du film en petites scènes charmantes qui sentent le graillon et les fraises des bois, c’est triste tout de même de visiter du Tolkien sans jamais avoir envie de manger un morceau, de s’asseoir dans l’herbe, de boire une bière, de bivouaquer au coin du feu…

Heureusement, dans l'ensemble, c’est divertissant comme tout, franchement, je suis très client de ce genre de choses, je vais voir les suites demain agréablement, mais ça manque foutrement de charme ce machin et ça pique encore beaucoup trop les yeux pour être parfaitement digeste…

Après avoir vu le film je suis passé doucement sur mon balcon, m’accroupir dans la nuit tombée, la lumière aveuglante du voisin d’en face titillait en bout de course mes iris fatigués, j’ai allumé tranquillement ma vieille pipe d’écume et, tout en soufflant consciencieusement la fumée dans ce rayon d’ampoule trop forte, je me suis souvenu des multiples lectures que j’ai pu faire dans ma jeunesse des bouquins de Tolkien, de ces étés passé à fuir les recommandations d’activité ensoleillée pour l’ombre bienfaitrice d’une chambre aux persiennes fermées ou d’un arbre touffu, et le plaisir que la moindre page pouvait alors me donner renvoie sans ciller cette adaptation pourtant ambitieuse dans les limbes des grands machins un peu convenus qu’on regarde d’un air coupable à la fin d’une semaine difficile.

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le 10 mars 2013

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Torpenn

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