Le Sel des larmes réussit une fois encore, par l’épure et la concision, à saisir la simplicité des choses complexes, aussi complexes que l’amour. Le long métrage se compose de trois segments qui s’influencent les uns les autres, à l’image de la triade qui prend place dans l’appartement parisien entre Luc, Betsy et son meilleur ami. Trois segments réunis par le sentiment amoureux : celui, inaccessible et frustré, qu’inspire la femme et que confond souvent le protagoniste avec le goût du sexe ; celui, véritable, qui unit un fils à son père. Philippe Garrel filme donc la douleur de l’échec de l’homme à s’engager dans une relation qu’il a choisie, ainsi que la douleur de l’échec du fils à garder son père auprès de lui, pour toujours.


Pour dire et incarner cela, le long métrage recourt à la métaphore de la menuiserie : un art en voie de disparition qui place Luc dans une position de dépendance vis-à-vis de son géniteur et formateur, qui l’enracine d’entrée de jeu dans le passé et le condamne à la désillusion et à la solitude. Car, comme le rappelle André Wilms, à quoi servent les meubles dans un monde instable et mobile ? « Les meubles, c’est quand on s’installe », alors qu’aujourd’hui « on est tous des nomades ». La trajectoire de Luc est d’ailleurs régie par le mouvement incessant, de sa ville de région jusqu’à Paris, de Paris en région, de la région à Paris encore ; un louvoiement spatial qui se rejoue intérieurement, le cœur du personnage oscillant entre plusieurs élues qui tout à la fois inspirent et rebutent. Le choix du noir et blanc contribue à cet hiver des sentiments : le fils marche seul dans la nuit, avec comme unique compagnon le savoir-faire transmis par son père qu’il porte comme un Christ.


Plus Le Sel des larmes avance, plus il est déséquilibré et s’automatise, épousant ainsi la volatilité et l’éparpillement des relations contemporaines aussi faciles que fugaces : si passion il y a au début, on apprend plus tard qu’elle n’était pas réciproque, et que l’intérêt porté par Luc à Djemila n’était que sexuel. Le long métrage repose sur le principe de dégradation : celle du corps vieillissant du père qui cache à ses proches son opération, celle des sentiments qui volent au vent, celle de l’unité du couple qui s’ouvre et se morcelle, celle du nouveau-né qui ne verra jamais le jour. La morosité générale confère au film une langueur parfois redondante, mais qui témoigne assez justement de notre monde.

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le 21 nov. 2020

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