L'adultère et l'inceste sont-ils les plus doux blasphèmes ?



  • Je ne veux pas que tu sois comme ça. Je ne veux pas que tu sois malheureux et que tu aies honte et même que tu regrettes. Nous nous en souviendrons comme d'un moment très beau, très grave... qui ne se reproduira jamais plus.

  • Et maintenant ? Qu'est-ce qui va se passer ?

  • Rien. Nous n'en parlerons pas. Ce sera un secret entre nous. Quand j'y repenserai, ce sera sans remords. Avec tendresse. Tu comprends ? Tu vas me promettre d'en faire autant.



Le réalisateur français Louis Malle présente avec Le Souffle au coeur un sujet très sensible et tabou autour d'une intrigue solide qui livre une véritable étude de personnage par le biais d'une relation passionnelle entre une mère et son fils qui iront jusqu'à transgresser l'ultime symbole familial par un acte charnel interdit. De ce lien mère/fils émane une aura particulière que l'on doit à une véritable fusion née d'un amour inconditionnel mélangé à une admiration sans limite pour l'un et l'autre. Une relation ambiguë entre Renzino Laurent Chevalier 15 ans (Benoît Ferreux) et sa mère Clara Chevalier (Léa Massari), au sein d'une famille bourgeoise française située à Dijon durant les années 50, composée de trois adolescents (dont Laurent est le plus jeune) et des parents. Au coeur du clan, Clara et Laurent possèdent tous deux une relation exclusive qui n'a encore jamais transgressé la morale jusqu'à ce que finalement le jeune garçon se retrouve contraint de partir un mois dans un centre spécialisé pour soigner un problème cardiaque. Accompagné de sa mère, ils vont tous deux cruellement se rapprocher au point de fatalement commettre l'adultère incestueux.


Il n'est jamais simple d'aborder un tel sujet, malgré tout, le propos délicat n'est jamais présenté de manière scandaleuse ni choquante, grace au cinéaste qui dépeint avec un savoir-faire magistral un travail subtil et réaliste autour d'un sujet complexe entourant une situation familiale peu commune. Si on croit en cette histoire c'est également grace à son casting qui fonctionne superbement. Léa Massari en tant que Clara, la mère, est surprenante. D'une beauté vertigineuse la comédienne saisit avec finesse toute la subtilité de son personnage vulnérable qui manque cruellement d'attention. Benoît Ferreux en tant que Laurent est bluffant. Il propose malgré son jeune âge de l'époque un jeu nuancé qui favorise une expression enfouie due au visage calme et songeur qu'il dégage mais qui masque en son fond une émotion difficile à contenir et à saisir. Les deux comédiens offrent un duo absolument parfait. On croit à la relation entre les deux.


La réalisation est impeccable, Malle tire admirablement les fils scénaristiques et techniques que ce soit à travers la mise en scène, l'ambiance, la justesse du propos, les dialogues, jusqu'à la bande-son qui est munie de nombreux titres de jazz absolument plaisant. Le cinéaste livre des séquences savoureuses comme lorsque les deux grands frères de Laurent l'emmènent dans un bordel pour y perdre sa virginité avec l'alcool et la clope coulant à flots. La mise en scène se concentre avant tout autour de Laurent qui est à une étape de la vie difficile avec la transition de l'enfance à l'adulte. On se prend d'affection et de tendresse pour lui à travers de petites scènes d'une intelligence étonnante dans lesquelles le jeune homme gère des aspects banals et compliqués de la vie, tels que des bêtises comme : le vol, l'alcool, le cigare, le sexe... ou encore le sentiment difficile qui l'unit à sa maman, allant jusqu'à se travestir en sa propre mère espérant combler la solitude dont il est prisonnier.




  • Il est sympathique, ton ami. Il parle très bien l'italien.

  • "Mon ami" ? Comme si c'était mon ami! Il est demeuré. Tu connais ses opinions politiques ? Il est royaliste! Tu flirtes avec un royaliste.

  • Tu te conduis comme un mari. Pire qu'un mari! Ton père ne m'a jamais fait une telle scène. Tu es mon petit mari. Mon sale petit mari français! Bourgeois! Médisant! Jaloux!



Louis Malle travaille magnifiquement son sujet à partir de souvenir personnel qu'il mélange à une part de fiction ce qui explique la justesse de son récit qui accumule des propos spirituels dans un entrecroisement psychologique intelligent et innocent qui se présentent comme l'antithèse d'un mélodrame. Il n'est nulle question d'abus sexuel ni de viol, mais bien d'une relation fusionnelle qui offre ce qu'elle a de plus beau malgré son immoralité. Il est avant tout question de l'essence même d'une telle relation et non des conséquences qui peuvent aboutir. Louis Malle ne juge pas, il se contente de dérouler avec une certaine condescendance son histoire intime qu'il considère des plus banales, que l'on peut suivre en toute discrétion à travers le trou d'une serrure sans avoir la possibilité d'intervenir. Une histoire que le cinéaste livre sans le moindre malaise tout en nous donnant matière à réflexion à travers une ambiance joviale, naturelle et tolérante qui sent bon la vraie vie et c'est ce qui fait toute la beauté de cette oeuvre. Le Souffle au coeur sonne terriblement juste avec sa construction dramatique qui avec une certaine innocence libertine pleine de maturité et de frivolité présente l'éveil sexuel d'un jeune adolescent pourtant cultivé et philosophe évoluant dans un milieu social élevé et de surcroît catholique et enfant de chœur qui doit régulièrement se confesser. Voyez la fatale ironie.


Avec délicatesse, Louis Malle apporte un regard paisible et rafraichissant sur une histoire d'innocence perdue autour d'un jeune garçon en pleine puberté qui ne parvient pas à gérer ses pulsions de par la relation parentale exclusive qu'il mène avec sa mère, son premier amour. Si une petite fille se détache plus rapidement de son premier objet d'amour, sa mère, pour aller vers son père, le petit garçon, lui, conserve totalement l'amour de sa mère à travers un lien fort et durable qui sera briser lorsque le petit enfant devenu grand aura trouvé une femme. Et c'est bien là le problème, Laurent malgré ses pulsions sexuelles ne veut pas rompre l'affection et l'adoration qui le lie à sa mère. Il n'est pas prêt à la quitter pour une autre femme. Clara quant à elle est une épouse délaissée qui pour essayer de combler le manque laissé par son mari amorphe voit par dépit un amant en secret qui l'éloigne de son fils, chose qui rend Laurent extrêmement jaloux.


Finalement, lors d'une nuit du 14 Juillet Laurent et Clara viennent à commettre l'acte charnel irréparable sous une douceur intime dans laquelle le fils retrouve enfin sa mère, et la mère retrouve enfin son fils. Un acte libérateur pour Laurent qui obtient enfin la preuve ultime de l'amour de sa mère qui restera à jamais son exclusivité, pouvant enfin devenir adulte en trouvant sa propre femme qui jamais ne remplacera l'amour de sa mère. Clara délivre son fils qui la délivre elle-même d'une vie où elle se demandait encore si elle avait encore sa place auprès de sa propre famille. Une scène finale admirable qui met fin à un malaise insoutenable pour des personnages psychologiquement touchés avec un sentiment de légèreté puisque l'on termine sur une image de Laurent qui revenant d'une nuit d'amour avec une jeune fille se fait surprendre par toute sa famille qui rigole à pleine dent de la situation, s'apercevant que le jeune homme est devenu un adulte. La mère d'un regard discret regarde son fils qui assume enfin son statut d'homme et se joint au fou rire général, sachant que derrière cela elle sait qu'elle conservera à jamais l'exclusivité de l'amour de son fils de par l'acte sexuel qui la lie à lui.


La boucle est bouclée.



CONCLUSION : ##



Le cinéaste français Louis Malle propose avec Le Souffle au coeur une oeuvre tragi/comiques d'une intelligence redoutable qui dépeint un sujet scabreux autour de l'inceste à travers une mise en scène sophistiquée qui présente le propos sans le moindre jugement dans une banalité des plus étonnantes et appréciables. Une histoire captivante, amusante et touchante symbolisée par les deux comédiens principaux Léa Massari et Benoît Ferreux qui livrent des performances incroyables que le cinéaste met magnifiquement en boîte. Un grand bravo à Louis Malle qui avec un certain culot livre et assume sans le moindre filtre une histoire délicate et embarrassante comme si elle était des plus naturelles. La simplicité et la complexité autour de la beauté de la vie, tout simplement.


Je n'ai pas peur de le dire, ce film est très beau!




  • Comment vont les études ?

  • Je suis pas inquiet pour Laurent. Sa maladie l'a muri. Il entrera en 1ère sans aucune difficulté.

  • J'ai toujours dit que j'avais un fils prodige. Tu vas être un génie, comme ton grand-père. Il paraît que ça saute toujours une génération.

  • Puisque votre fils est un génie madame, permettez-moi un conseil : traitez-le en adulte.

  • Je vous permets, mon père. (chuchotement) De quoi je me mêle ?


B_Jérémy
9
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le 22 juin 2021

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