Le vieil Homme et l'Enfant de1967 est le tout premier film de Claude Berri, un récit partiellement autobiographique dans lequel le réalisateur évoque son enfance durant la seconde guerre mondiale, la jeunesse d'un gamin juif confié à une famille de la campagne, loin des bombardements et des rafles de Vichy.


Le Vieil Homme et l'Enfant raconte donc l'histoire de Claude un gamin qui ne souhaite pas sacrifier son enfance à la discrétion recommandée aux familles juives d'une France occupée. Afin de le protéger et de se protéger eux mêmes de ses bêtises et jeux d'enfants propres à se faire remarquer, ses parents l'envoie donc chez les parents d'une amie à la campagne, là ou peut être la guerre et l'ignominie gronderont un peu moins fort.


La grande force du film de Claude Berri est de prendre cette période trouble non pas sous le prisme d'un pamphlet historique mais au contraire celui d'un humanisme à la simplicité bouleversante. Même si le fond historique est omniprésent et que tout le film baigne dans ce contexte de l'occupation, du régime de Vichy et d'une France Pétainiste jamais le film de Claude Berri n'ira vraiment s'aventurer bien plus loin que cadre intime définit par ses personnages et c'est tant mieux. Pas de soldats nazis, pas de gentils résistants et pas de salauds de collabo, le film de Claude Berri se concentre entièrement sur cet enfant, ce vieux couple et la vie à la campagne pour décrire une parenthèse d'enfance presque heureuse. Claude Berri ne donne pas de leçon d'histoire ou de morale, il fait bien mieux il nous donne à voir une magnifique leçon d'humanité. Cet enfant juif caché et aimé par ce vieux type bourru ancien poilu et maréchaliste antisémite convaincu possède les troubles ironies qui font la nique à celles et ceux qui voudraient toujours divisés les humanités en catégories distinctes et opposées. Bien sûr l'histoire a toujours charrier son lot de héros et salauds qui font les grands antagonisme mais entre les parenthèses de la grande histoire se trouve les anonymes qui sans être des ordures , ni des types admirables auront simplement fait ce qu'ils ont pu. Ce vieux Pépé (Formidable Michel Simon) ne deviendra pas un juste par conviction mais ces tristes croyances abreuvées d'ignorance et de propagande déversée par Radio Paris ne font pas de lui un détestable salaud de collabo pour autant. On façonne nos peurs sur la crainte de l'autre et de l'inconnu, sur des fantasmes nourris d'idéologies, sur des mots que l'on donne à des personnes comme si elle devait les définir globalement mais Claude Berri nous montre avec une infinie tendresse que le vieil antisémite et le gosse juif sont finalement bien moins intéressant que Le Vieil Homme et l'Enfant.


L'enfant c'est donc Claude interprété par le formidablement juste Alain Cohen, un concentré de malice à la tignasse brune et au yeux farceur qui va prendre un malin plaisir à s'amuser des idées préconçues de ce grand père de substitution pour en révéler par l'absurde toute la bêtise. Il y-a dans Le Vieil Homme et l'Enfant de formidables scènes de comédies mordantes comme lorsque Claude se délecte d'écouter Pépé parler des juifs malodorants qu'il est capable de sentir à des kilomètres alors qu'il est incapable de voir qu'il en a un sous son gros nez ou qu'il décrit comment sont les juifs selon les caricatures de l'époque et que Claude lui renvoie qu'en fait c'est peut finalement lui le Pépé qui ressemble le plus à un juif, le regard de Michel Simon dans le miroir est à cet instant un magnifiquement moment de bêtise vaincue par l'humour. Et même lorsque Pépé pour s'amuser court après Claude un couteau entre les dents pour jouer au bolchevique qui mange les enfants il avoue presque sans même s'en rendre compte que ses pensées ne sont finalement que des caricatures ridicules propres à effrayer les gosses. Au delà même de ses rapports avec Pépé, même si ils sont bien sûr le cœur du film, Le Vieil Homme et l'Enfant nous offre un touchant portrait d'un enfant qui voudrait être tout simplement comme les autres alors qu'il est assez systématiquement contraint au retrait et la discrétion pour sa religion, ses origines ou même d'où il vient comme lorsqu'il est accueilli à sa nouvelle école sous les quolibets de " Parisien tête de chien, parigot tête de veau". Formidablement juste et émouvant du haut de ses huit ans, Alain Cohen tient la dragée haute au monstre sacrée Michel Simon et le jeune comédien réussit à nous faire rire et pleurer, mais aussi nous attendrir à l'image de sa touchante et pudique histoire d'amour avec une petite fille de la ferme voisine, la craquante et douce petite Dinou. Il plane d'ailleurs parfois sur Le Vieil Homme et l'Enfant un peu de l'innocence cruelle de La Guerre des Boutons comme lors des formidables scènes qui se déroulent à l'école avec sa galerie de cancres et de tronches magnifiques et de la cruauté de Jeux Interdits comme lorsque Claude revient en pleurs de l'école et tombe dans les bras de Pépé après avoir été rasé de force pour quelques maladroits mots d'amour.


Et puis bien sûr il y-a le vieil homme , ce Pépé haut en douleurs interprété par un Michel Simon absolument impérial. Vieil ours bourru, ancien poilu de 14/18 vénérant le père maréchal sauveur de la nation, antisémite par ignorance, anti rouge par habitude, anti allemands, anti anglais, anti francs maçons ... l'homme est aussi étriqué dans sa tête qu'il se montrera monstrueusement généreux dans son cœur. Fabuleuse gueule de cinéma et figure monstrueusement attachante Michel Simon nous livre ici une formidable interprétation donnant toute la mesure de la complexité du personnage ni salaud, ni héros , juste bien ordinaire dans ses ignorances plus que dans ses haines. Car la grande puissance du film, du personnage de Pépé et de l'interprétation de Michel Simon c'est que cet homme finalement attachant, drôle et aimant n'est pas tout à fait aimable mais encore moins détestable. Et quand bien même ses propos peuvent parfois nous hérisser le poil on voudrait tous pouvoir s'assoir dans l'herbe à ses côtés , l'écouter nous raconter ses fadaises sur ses ennemis imaginaires, jouer à qui pisse le plus loin en se marrant, écosser les haricots en le faisant ronchonner, s'assoir sur ses vieux genoux, faire râler Mémé de nos bêtises et se retrouver d'un coup entourer par tout l'amour de ses vieux bras protecteur nous emprisonnant contre ce gros ventre la tête à hauteur de son cœur. Les hommes ne sont pas tout d'un bloc bons ou mauvais, ils sont justes parfois aussi odieux qu'ils peuvent être aimant. Et lorsque vers la fin du film tout près de la tombe de son fidèle chien Kinou Pépé s'interroge un peu perdu sur ce monde dans lequel on trimballe des femmes tondues portant leur misère en même temps que leur enfant, il traduit le malaise d'un homme dont les certitudes s'écrouent en même temps que le monde. Pas de revirement idéologique à 180° ce serait bien trop caricaturale, juste la lassitude et la prise de conscience que l'humanité toute entière est peut être néfaste: " Les hommes sont fous / j'en suis malade / les français se mangent entre eux / les hommes sont fous / tu sais les juifs mon petit bonhomme finalement ils ne peuvent pas être plus méchant que les autres ..."


Le vieil Homme et l'Enfant est un film sensible qui a pour lui l'extrême pudeur de ses sentiments et l'élégance de ne jamais sombrer dans le moindre ressort d'émotion facile et factice. Claude Berri évite toutes ses choses si faciles qui auraient pu booster le potentiel tragique d'un tel récit; pas de voisins collabos menaçants , pas de suspens autour de la découverte de l'identité de Claude par Pépé, pas de destin tragique pour les parents de Claude , l'ensemble ressemblerait presque à s'y méprendre et à une parenthèse enchantée. Et même au cœur de son récit et de l'intimité de ses personnages Claude Berri nous épargnera les retrouvailles de Claude et ses parents ou les adieux déchirants à Pépé et Mémé préférant un pudique mais tout aussi bouleversant au revoir entre deux vieillards pétrifiés de tristesse sous la pluie et un gosse à l'arrière d'un bus. Si il convient de saluer à nouveau Michel Simon et Alain Cohen il ne faut pas oublier les autres comédiens et comédiennes du film à commencer par Luce Fabiole dans le rôle fatalement un peu en retrait de Mémé à l'image de toutes ses femmes courageuses et aimante vivantes dans l'ombre écrasante de leur mari. Tout en simplicité et pudeur la comédienne est formidable et assez drôle quand elle se se retrouve soudainement à devoir gérer deux gamins. Et puis on retrouve également Roger Carel dans le rôle du fils de Pépé et surtout Paul Prébois en bon paysan désespéré de voir son fils avec éternellement le doigt coincé dans le nez "Tu veux le mien il est plus gros". Et puis il y-a aussi Jacqueline Rouillard absolument géniale dans le rôle de l'institutrice psychorigide, une maîtresse d'école au sourire effrayant comme on n'en rêve pas étant gosse.


Le vieil Homme et l'Enfant est film formidablement tendre, drôle et intelligent car quelque part dans un petit coin de l'histoire, quelque part dans un petit coin de la France, quelque part dans un petit coin de la guerre, loin des grandes dates, des vainqueurs et des vaincus, des atrocités et des actes héroïques; un vieil antisémite bourru et un gamin juif se sont apprivoisé et aimé comme ça juste par humanité et c'est peut être bien la preuve qu'il ne faudra jamais totalement désespérer des humains.

freddyK
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le 3 févr. 2022

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