Ce film est une véritable poésie visuelle pleine d'imagination, qui se retranscrit dans son animation et ses dessins magnifiques, sa musique très immersive, son univers riche, sa variété de personnages en totale évolution et ses messages forts.
L'univers est à la fois beau faisant penser à un grand rêve, mais aussi bizarre voire malsain. Le tout est fantastique, enchanteur et menaçant, avec une population de bêtes majestueuses, mélanges de mythologie shintoïste et de la pure imagination de Miyazaki. Dès lors qu'elle a passé le tunnel, Chihiro se trouve dans un monde qui n'est pas le sien, perdue et se retrouvant méprisée au départ, puis devant abandonner son identité pour être acceptée, ne pas disparaître et pouvoir travailler. Arubaya, l'établissement où les Dieux viennent se reposer, est une abondance de décors et de créatures étranges que l'on découvre en même temps que nôtre héroïne. Et la première demi-heure est une leçon de cinéma, Hayao Miyazaki nous montre comment exposer un si grand univers si singulier en autant de temps.
La très bonne évolution des personnages contribue à la qualité du film. La protagoniste, Chihiro, passe d'une petite fille assez peureuse à une personne travailleuse et courageuse qui fera tout pour avancer et sauver les gens qu'elle aime (Haku et ses parents). Haku quant à lui apparait comme une personne aimable et altruiste au départ, puis très strict à sa seconde apparition. Il aidera la petite fille à s'intégrer et lui permettra d'évoluer. Elle aussi le fera évoluer, elle permettra de lui rappeler son nom et son passé, leur relation est très bien développée ainsi que leur rencontre peu anodine. L'antagoniste Yubaba se montrera autoritaire, intimidante, presque effrayante. On découvrira très vite son point faible qui est son fils, qu'elle affectionne particulièrement. C'est la grande patronne qui vole les noms de ses employés. Lin, une employée des bains se montrera arrogante et hostile envers Chihiro au départ, pour petit à petit apprendre à la connaitre et à l'aimer, au point même de dire au Sans-Visage à un moment qu'elle le tuera si il lui fait du mal. Et le Sans-Visage est là pour essayer d'apprendre de Chihiro, au début il attire les gens avec son or, pour ensuite les dévorer et leur ressembler, et au final il trouve sa véritable identité et décide d'aider Zeniba la sorcière. Il incarne la sérénité du monde mais vomit les débordements de son mauvais comportement.
Une critique du monde du travail se développe, quand Chihiro demande du travail à Yubaba, elle doit insister pour en obtenir, et doit avoir ce travail pour exister sinon elle n'est pas acceptée dans ce monde. Elle abandonne ensuite son identité, passant de Chihiro à Sen, montrant que le travail nous fait perdre nôtre propre identité au profit de l'identité de la masse, les travailleurs perdent leur individualité et n'ont pas de prise d'initiative propre à chacun, ne se rappelant que de leur travail et non d'eux-même. Ensuite, la société de consommation est critiquée sous plusieurs aspects, tout d'abord quand les parents de Chihiro se gavent de nourriture qui ne leur appartient pas en affirmant à leur fille faisant preuve de retenu qu'ils pourront payer et donc ont le droit de se gaver jusqu'à en devenir littéralement des porcs. Aussi, Le Sans-Visage a besoin d'or pour se faire accepter, il en offre à tout le monde en échange de leur prosternation, jusqu'à ce qu'ils se fassent avaler par le Sans-Visage, à force d'être trop cupides ils se font manger par le capitalisme. Et puis un fort message écologique développé durant tout le film (comme à l'habitude de son réalisateur) s'accentue avec la scène où l'esprit de la rivière, sale, à l'odeur infecte, se montre en fait magnifique une fois qu'on lui enlève son épine, celle que lui ont plantés les humains à force de polluer cette rivière.
Le film laisse place à un peu d'humour, avec les petites boules vivantes qui assistent Kamaji donnant lieu à quelques gags, ou lorsque Zeniba transformera Bo et le Yu-Bird en petits animaux de compagnie qui accompagneront la fille, et notamment dans un moment mélancolique: La scène dans le train. Elle est très calme et un peu naturaliste. Chihiro observe des gens qui ne sont que des ombres tristes vivant une routine. Un constat sur la capacité des collectivités à faire de grandes choses, mais qui réduits en tant qu'individus ne sont que des coquilles vides. Cette scène permet à Chihiro de se trouver, de prendre conscience des épreuves qu'elle a passé et de celles à venir, par une opposition entre son visage et celui de son reflet. Une scène fascinante pleine de sens et très bien réalisée.
Le voyage de Chihiro est mon film préféré car il arrive à me faire ressentir la palette des émotions humaines et me faire dire à chaque fois que je le revois "ben merde c'était parfait". Il me fait aussi ressentir ce que je ne ressens jamais devant un film, tombant d'admiration devant une telle beauté et une telle magie sublimées par sa musique et ses images.