He's the Woo ! (quote from Tom Cruise)

Im-pre-ssio-nnant !


Les 3 royaumes marque le grand retour de John Woo à la tête d'une production chinoise, après un égarement de plus d'une décennie au pays de l'Oncle Sam. Mais quel retour ! Depuis le très moyen Paycheck, le maître de l'action avait disparu de nos écrans, mais là, il fait fort. Presque aussi fort que du temps de The Killer ou d'À toute épreuve. C'est dire. Tom Cruise disait d'ailleurs de lui lors de la promotion de Mission : Impossible 2 "He's the Woo !". Avec ce long métrage au budget pharaonique pour un film made in China (près de 80 millions de dollars tout de même, soit le plus gros budget à ce jour pour ce pays), il est agréable de constater qu'il n'usurpe en rien sa légende.


Adapter le roman de Luo Guanzhong était un vieux rêve pour Woo, qui a attendu d'avoir la technologie et les moyens nécessaires pour porter à l'écran la plus célèbre de toutes les histoires de Chine. L'Histoire des Trois Royaumes a en effet été écrit au XIIIe siècle, mais c'est encore à ce jour le livre le plus populaire en Asie. Néanmoins, le cinéaste chinois admet avoir voulu respecter davantage les évènements historiques, alors que le roman, lui, tend à amplifier l'aspect légendaire du récit dans un souci, on le comprendra, de servir les enjeux narratifs et l'intensité dramatique de l'histoire. Et puis la bataille de la Falaise Rouge ayant eu lieu en l'an 208 après J.-C., on excusera l'inexactitude du livre, et on appréciera l'effort du réalisateur à coller au plus près à la réalité même s'il a repris certains éléments fictifs de l'oeuvre originelle.


Il était donc une fois l'empereur Han Xiandi règnant sur une Chine divisée en trois royaumes. Cao Cao, Premier ministre ambitieux et impitoyable, rêve de s'emparer du trône et convainc Han Xiandi d'attaquer Shu, le royaume du sud-ouest dirigé par Liu Bei, un valeureux combattant privilégiant la sécurité de son peuple avant tout. Sur le point d'être défait, Liu Bei dépêche son conseiller militaire Zhuge Liang, un érudit et tacticien hors pair, afin d'entamer des négociations avec le roi Sun Quan dans le but d'unir leurs forces. Ce dernier, Haut Seigneur de Wu, rêve de grandeur pour son royaume. Il se laisse convaincre lorsque le vice-roi Zhou Yu et Zhuge Liang sympathisent, et voit avec cette alliance une opportunité de se dresser contre Han Xiandi et son Premier ministre. Mais Cao Cao, apprenant l'existence du pacte contracté entre les deux royaumes, décide d'envoyer une force de 800 000 hommes et 2000 navires pour écraser les ennemis de l'empereur. Une supériorité numérique surpassant de loin les forces de Shu et de Wu, mais le génie tactique de Zhuge Liang et Zhou Yu combinés permettra de contrecarrer les désirs de conquête de Cao Cao et fera de cette bataille la plus marquante de l'Histoire de Chine. Une leçon indélébile et intemporelle qui rappelera à tous que l'esprit triomphe du muscle.


Voilà de quoi il est question avec Les 3 royaumes. Une fresque épique majestueuse comme on en avait plus vu depuis Kingdom Of Heaven, une super-production ayant tout emporté sur son passage en Asie, délogeant Les Seigneurs de la guerre du trône qu'occupe le plus grand succès au box office là-bas.


Il faut dire que tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce film bien plus que le simple retour au pays d'un réalisateur ayant relancé l'industrie du cinéma d'action HK dans les années 80. Outre un budget conséquent, le casting des 3 royaumes est tout simplement éblouissant. Il y a tout d'abord Tony Leung Chiu Wai, l'inoubliable Yan d'Infernal Affairs, l'irrésistible matricule 663 de Chungking Express, le dangereux Lame brisée de Hero. À ses côtés, Takeshi Kaneshiro, le tueur à gages inflexible des Anges déchus, le très drôle Miyamoto de The Returner, le bouleversant Lin Jian Dong de Perhaps Love. Rien qu'avoir ces deux noms réunis sous une seule et même bannière assure à un film de beaux lendemains. Ils ne sont pas les seuls artistes de l'illusion théâtrale à briller, puisqu'on retrouve également au générique Chang Chen (Tigre et dragon, 2046, Three times), ainsi que Zhang Fengyi (Adieu ma concubine), Hu Jun (Infernal Affairs), ou encore Zhao Wei (Shaolin Soccer). Quand on pense que Chow Yun-Fat devait également faire parti du casting, l'on comprend à quel point Les 3 royaumes est une entreprise envisagée avec beaucoup de sérieux.


Dès les premières minutes, on est bluffé. Bluffé de constater avec quelle extrême minutie John Woo met en place une intensité dramatique omnipotente. En prenant le soin de présenter un à un de manière quasi-théâtrale chaque protagoniste important de son histoire, le metteur en scène s'attache à développer ce qui a donné une couleur particulière à son cinéma depuis ses débuts : la dimension héroïque de ses personnages. En même temps, son passage aux États-Unis a quelque peu modifié sa griffe. S'il est vrai qu'il continue à travailler sur la dualité de ses personnages, on sent que ses aspirations ne sont plus tout à fait les mêmes. Woo semble davantage préoccupé par le besoin de rendre accessible à tous un héritage culturel propre au peuple chinois en le maquillant un rien de blockbuster hollywoodien, c'est à dire en favorisant l'aspect spectaculaire grâce à un savant dosage de simplicité et de virtuosité, là où il aurait fut un temps privilégier uniquement l'action.


Ce besoin de partager des idéaux chinois avec une ampleur mirifique en lorgnant du côté du grandiose hollywoodien et en s'écartant d'un cinéma des arts martiaux propre à l'Asie se constate tout d'abord dans le soin apporté aux décors et aux effets visuels du film. D'une beauté saisissante, les lieux trouvés par John Woo permettent de magnifier l'impact de chaque plan sur notre rétine. D'autant que plusieurs champs de bataille sont explorés et permettent de diversifier à la fois les paysages et en même temps le type-même de bataille, puisqu'en plus des joutes armées, un combat naval dantesque vient s'immiscer entre deux coups de lance. Bref, Woo a vu tout en grand, et on ne s'en plaindra pas, bien au contraire.


Cependant, ce qui laisse avant tout pantois est la mise en scène dynamique et pleine de fureur du cinéaste. Ses scènes d'action, longues et complexes, sont pourtant d'une incroyable lisibilité au point de n'en perdre aucune miette. Aucun plan n'apparait superflu, tout a un but et tout conduit à faire entrer le spectateur dans le feu de l'action. Là où il y a une vingtaine d'années Woo aurait utilisé à outrance un ralenti stylisé, aujourd'hui la forme semble enfin être en parfaite adéquation avec le fond. D'autant que la sa patte s'est étoffée depuis, avec des fondus enchaînés et des surimpressions d'un lyrisme à couper le souffle. Le cinéma de Woo a évolué, on sent avec Les 3 royaumes qu'il a trouvé d'autres clés pour prolonger l'impact dramatique de certaines scènes. À bientôt 63 ans, réussir à conserver tant de nervosité tout en réussissant à gommer les défauts rémanents inhérents à son esthétique est tout simplement formidable.


Plus encore, être devant Les 3 royaumes, c'est avoir l'impression de lire en temps réel L'Art de la guerre de Sun Tzu tant le long métrage se penche sur chaque aspect décrit dans le tout premier traité de stratégie militaire, de la question du morale des troupes aux tactiques guerrières efficaces (lire le douzième chapitre intitulé "De l'art d'attaquer par le feu", et vous comprendrez en regardant le film à quel point John Woo et son équipe ont fait des merveilles). Apportant un cachet des plus réalistes, cette myriade de génie stratégique donne à voir également des scènes de combat spectaculaires et imposantes, comme celle où l'armée de Cao Cao se retrouve enfermée dans un carcan de lances et de boucliers à faire pâlir les stratégies romaines. En une séquence, tout ce que l'on a pu voir jusqu'à présent au cinéma est balayé d'un simple geste, les batailles de Braveheart ou de Gladiator apparaissant comme de simples esquisses devant une telle maîtrise et et une telle preuve d'inventivité visuelle pour rendre compte des larmes et du sang laissés sur le champ de guerre.


Alors pourquoi ne peut-on pas savourer pleinement la renaissance d'un maître dans un cinéma qui nous manquait tant ? Pourquoi Les 3 royaumes n'est pas le film de l'année ? Tout simplement parce que nous autres occidentaux n'avons pas hérité de la bonne version. En effet, la version internationale du long métrage actuellement sur nos écrans français ne dure que 2H25, alors que la version asiatique se décline en deux films d'une durée totale de 4H40. Soit 2H15 de film ayant tout simplement été supprimé ! Et il est difficile de ne pas voir qu'il y a un réel manque tant cette version est clairement orientée vers l'action au point de faire perdre à cette histoire une grande partie de sa dimension politique et humaine. Une essence que l'on sent esquintée par un montage sensé nous plaire davantage, mais qui au final laisse dubitatif sur la vision qu'ont les producteurs chinois sur les spectateurs occidentaux. Dommage, vraiment dommage.


Qu'à cela ne tienne, ne boudons pas notre plaisir et profitons de cette variante éducolorée en attendant de voir peut-être un jour atterrir dans nos vertes contrées la version ultime de ce chef-d'oeuvre en puissance qu'on ne peut décidemment pas louper sous peine de louper l'un des plus grands films d'un homme qui, s'il n'a pas révolutionné le cinéma comme un Coppola ou un Lucas, n'en a pas moins marqué son temps.


John Woo espérait faire avec Les 3 royaumes un film où le public occidental aurait le sentiment de regarder une "guerre de Troie asiatique". Qu'il se rassure, il a fait bien plus que cela.
Après tout, "he's the Woo !"


En bref : Les 3 royaumes est en chef-d'oeuvre en puissance, une ode guerrière au cinéma d'action avec une grâce et une fureur renversantes de virtuosité et de candeur. La déclaration d'amour de John Woo au cinéma bien qu'amputée d'une grande part de son essence dans sa version internationale. À ne louper sous aucun prétexte.

Kelemvor
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le 3 janv. 2015

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