En grand amateur du bonhomme, je ne rate jamais une seule de ses nouvelles oeuvres que j'essaie de ne manquer sous aucun prétexte lors de leur sortie en salle. Pour ce Hateful Eight, j'ai eu la chance de pouvoir le visionner dans son format d'origine et selon les conditions du réalisateur, à savoir en projection pellicule 70mm, avec ouverture et entracte, le tout dans une version longue bénéficiant de huit minutes bonus. Autant dire que l'expérience fut pour le moins exceptionnelle et qu'elle influencera certainement de manière positive ma critique.


Ceci étant dit, qu'en est-il de ce Hateful Eight ? Et bien j'ai eu l'impression d'assister à un film somme. Une oeuvre pour laquelle le réalisateur américain ne s'est rien refusé, tout ce qui le caractérise Tarantino est dans The Hateful Eight mais à la puissance maximale : dialogues à rallonge, déchaînement de violence gore, le Western dans ses thèmes et son esthétique, la vengeance, le racisme, et enfin la nostalgie des années 70 pour les conditions de projection. Le tout livré au sein d'une oeuvre d'environ trois heures divisée en sept chapitres dont les trois premiers composent la première partie et les quatre derniers composent la seconde partie.


Les deux premières choses que l'on remarque, c'est la photographie (Robert Richardson) et la musique (Ennio Morricone).
La photographie est sublime, le cadre extra large choisi par Tarantino nous propose dés l'ouverture des plans extraordinaires sur les paysages enneigés du Wyoming. Mais par la suite, la largeur du cadre sera paradoxalement utilisée pour établir des rapports de force entre les personnages dans des espaces plus sombres et confinés, en total contraste avec les extérieurs immaculés. Si il y a une chose qui est claire dés le départ, c'est que ce choix du format 70mm est génial et surtout extrêmement bien maîtrisé par le cinéaste.
Cette photographie est par ailleurs sublimée par la composition d'Ennio Morricone. Comme le dit Tarantino lui même, la bande son tire plus du côté du film d'horreur que du Western, et on comprend vite pourquoi.


Car il est évident que ce Hateful Eight est sans aucun doute l'un des films les plus gores et les plus glauques de Quentin Tarantino. Par contraste avec un Django Unchained qui m'a paru fun et décalé, The Hateful Eight est loin d'être la pièce de théâtre dynamique et déjantée que la bande annonce nous laissait entendre. Le film m'a surpris par sa "noirceu"r. Je me suis même parfois senti mal à l'aise (dans le bon sens du terme), un sentiment que l'on retrouvait notamment devant l'introduction d'Inglourious Basterds, dans la cave de Pulp Fiction ou à travers la totalité de Reservoir Dogs, et pour The Hateful Eight c'est surtout en seconde partie et en fin de première partie. Ce qui me permet d'embrayer sur un autre point très important.


Les deux parties qui composent ce film sont inégales. J'ai trouvé la première légèrement bancale dans le sens ou les moments forts côtoient les moments plats et presque inintéressants. Certains passages dans la diligence sont en fait de longs dialogues qui n'ont pas la piqué ni la force dramatique ou comique habituelle du cinéaste. De plus, par le confinement exacerbé de l'espace, on se retrouve avec une mise en scène pour le moins classique qui empêche Tarantino de développer tous ses outils usuels de mise en scène. Les tensions dramatiques et cinématographiques sont donc amoindries et on se retrouve parfois à attendre impatiemment la scène suivante tant les situations traînent en longueur. Même constat pour la fin de la première partie qui opère une désagréable coupure de rythme malgré la mise en place de nouveaux éléments d'intrigues.


Cependant, et c'est là qu'on rentre dans la véritable force de ce film, la seconde partie est juste G-E-N-I-A-L-E (dédicace aux échos de sortie de salle). Les dés sont à nouveau jetés, les éléments d'intrigue sont renversés, le scénario et les situations se débloquent enfin pour nous offrir de purs moments Tarantinesques, pour le coup diablement bien écrits et mis en scène. Tout est débridé et prend forme pour laisser le spectateur accroché au siège jusqu'au générique de fin. Et c'est précisément là que Tarantino touche au génie. Tout le film vaut pour la puissance des quatre derniers chapitres et l'on comprend à ce moment là pourquoi la première partie a pris autant de temps pour justement prendre son temps.


Le film est par ailleurs servi par une brochette d'acteurs comme d'habitude surexcités mais dirigés d'une main de maître par le chef d'orchestre. Jennifer Jason Leigh est excellente, Samuel L. Jackson aussi bien évidemment, mais c'est avec un grand plaisir que l'on retrouve Kurt Russel après l'excellent Boulevard de la Mort mais également Walton Goggins qui a enfin un vrai rôle à sa mesure.


En bref, The Hateful Eight est sans aucun doute l'un des meilleurs films de 2016 alors que l'année n'a pas encore commencé. Il traîne parfois en longueur en première partie à cause de dialogues lourdeaux et de coupures de rythme amères, mais nous propose une seconde partie intense, tendue et explosive dans la lignée des meilleurs films de Tarantino. J'ai eu l'impression d'y voir un mélange parfois un peu surdosé de Reservoir Dogs, Inglourious Basterds et Django Unchained.
En tout cas, rares sont les réalisateurs à nous proposer des expériences de cinéma similaires, et les quelques défauts cités sont au final beaucoup de pinaillage pour une oeuvre cinématographique pareille. Quand on s'appelle Quentin Tarantino et qu'on met en exergue dés l'ouverture "The 8th Film of Quentin Tarantino", il faut parfois le payer !


Bref, allez voir ce film, c'est encore et toujours un bon cru.


PS : Si vous avez la moindre occasion de le voir en 70mm, courrez y, l'expérience vaut largement le coup.

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le 31 déc. 2015

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Audric  Milesi

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