Venez pour l’univers et ses animaux (mais pas pour le scénario)

Les Animaux fantastiques s’inscrit dans la continuité de l’univers fantasy d’Harry Potter, rempli d’autant de lumière éclatante que de ténèbres, et d’autant de découvertes que de clichés.
Les animaux fantastiques, ou créatures magiques, sont bien présents, et c’est l’occasion d’explorer avec gourmandise les recoins inconnus d’un univers bien connu. Le charme est efficace : la modélisation des animaux et les effets spéciaux sont suffisants pour nous plonger dans une ambiance authentiquement magique. Cette galerie de créatures époustouflantes satisfait notre curiosité et donne lieu à des scènes de découverte ou de capture grandioses.
Cependant, même si l’on a droit à quelques magnifiques et fascinantes scènes dans la valise-monde de Norbert Dragonneau, on reste un peu sur notre faim, car bien que le titre nous laisse miroiter des animaux fantastiques jusqu’à satiété, le film nous propose surtout comme plat de résistance des scènes et des intrigues entre sorciers (et non-majs) qui font écho à la saga HP.


Norbert Dragonneau, quant à lui, défend ces créatures méconnues, dont les autres sorciers ne voient pas l’intelligence, la bonté et la beauté. Il veut les faire connaître par son guide Fantastic beasts and where to find them, et réussira puisque ce sera plus tard un des manuels des élèves de Poudlard. Mais pour l’heure, on le voit peiner à se cacher et à lutter pour son rêve. C’est un piètre pédagogue ou orateur, mais un excellent zoologue, un indéfectible amoureux des créatures fantastiques et un aventurier habile. Le sorcier a des allures de médiateur et de figure prophétique, car on sait qu’il réalisera son souhait de réconcilier le monde des sorciers et des créatures magiques (le film laisse seulement supposer que les sorciers s’en sont éloignés au fil du temps, sans doute comme les moldus/non-maj se sont éloignés de la nature avec l’industrialisation). Ce héros n’est donc pas seulement une SPA à lui tout seul, c’est aussi l’équivalent sorcier d’un militant écologiste et d’un naturaliste érudit.
Tout ça résonne avec l’actualité, puisque de plus en plus de personnes se soucient de l’éradication partielle de la biodiversité par les humains. Car, oui, nous sommes en train de commettre une extinction de masse des espèces animales. On ne peut plus que limiter les dégâts. Il aura pourtant fallu des décennies de lanceurs d’alertes et des millions d’activistes partout dans le monde pour que le problème soit sérieusement envisagé internationalement. Le destin des créatures magiques est tout aussi tragique et primordial que le sont la biodiversité et l’écologie pour nous : on sait qu’il est en partie déjà trop tard et qu’il y aurait encore beaucoup à faire, comme le montre notamment tout le personnage d’Hagrid et ce que l’on apprend sur beaucoup de créatures magiques dans la saga HP.


Pour le reste, l’essence est la même que la saga Harry Potter, même s’il y a certes des différences graphiques.
Les curiosités magiques y côtoient les recoins sombres de nos âmes, aussi bien que les intrigues plus légères. La recette est connue. Mis à part ça, tout dans l’histoire reste assez classique d’un film d’aventure blockbuster américain : Newt, le héros marginal au coeur pur qui sauve le monde (du moins la ville), Tina, la bonne flic elle aussi marginale qui en tombe amoureux et réciproquement, le joyeux couple de parfaits gentils sidekicks que forment Jacob Kowalski (l’enthousiaste maladroit et comique) et Queenie (la tête-en-l’air talentueuse) … On perçoit même parfois une légère morale de féerie hollywoodienne : la banque ou l’administration sont tournés en dérision, les médias et les politiques (les Shaw) ne sont pas dépeints à leur avantage, mais l’entrepreneuriat façon american dream, la méritocratie et l’aristocratie sont glorifiés via Kowlasky, Tina et Norbert (tout leur sourit et les règles ne s’appliquent pas à eux). Les ficelles sont connues et voyantes, on est submergé de conventions, si bien que ces semblants de contexte politique et d’engagement ne tiennent pas debout, mais la plupart des spectateurs ne devraient pas y prêter trop attention grâce aux effets subjuguants du budget colossal et du travail de toute l’équipe du film.


Nous retrouvons également la face sombre et pesante de l’univers d’Harry Potter, en plus adulte peut-être. Si ces aspects obscurs sont d’abord le prétexte à une débauche d’images de synthèse et de destructions colossales, c’est aussi ce qui donne de la saveur au scénario et nous tient en haleine. Le système qui régit le monde magique de ce New York est implacable et froid, mais aussi corrompu et faillible que n’importe quel régime politique, comme le prouvent les actes de Grindelwald. Les Aurors se trompent de cible, la violence et la mort s’abattent aléatoirement ou injustement … Notre histoire charrie son lot de cruauté et d’horreur, pour mieux montrer le cercle vicieux de la violence. Par-dessus tout, ce qui retentit, c’est toute l’horreur que l’on peut contenir en nous. L’Obscurial est l’image même de la souffrance qui engendre la souffrance. Être rejeté par la société, maltraité par ses pairs peut engendrer des réactions violentes, parfois terribles, allant jusqu’à la tuerie (ou terrorisme) comme la commet


Croyance


. Cet Obscurial, comme tous les autres, est issu d’un sorcier qui s’ignore, refoulé, isolé et mal-aimé, comme l’était Tom Jédusor (Voldemort). Sauf que la némésis d’Harry Potter se servait instinctivement de la magie pour se protéger, là où


Croyance


a développé un Obscurial assez puissant pour incarner sa souffrance, sa colère, sa haine et sa terreur. Plus sa douleur est criante, plus le danger est grand. Ajoutez-y des non-majs (a.k.a. moldus) aussi facilement incrédules qu’en colère, réclamant un retour à la normale par le sang sans même savoir de quoi il retourne, et il ne suffit plus que d’une étincelle lancée pour que ce New York de 1926 ne prenne des allures de Bal de Carrie. C’est Grindelwald, seul véritable danger et ‘’méchant’’ du film, qui met le feu aux poudres, mais il se contente au final de révéler ce qu’il y a de pire dans chaque camp et chaque personne … Il faudra la bonté et l’imprévisibilité de Norbert Dragonneau, accompagné de ses incroyables amis et de ses fantastiques animaux en qui plus personne n’avait foi, pour que la lumière disperse les ténèbres. Tout comme les personnages, on ne prendra pas le temps du deuil ni des larmes pour les nombreuses victimes des événements, rapidement éludées. On se rappelle alors que nous sommes bien dans un conte de fées et de sorciers, car dans la réalité, il n’y a ni Oiseau-tonnerre comme deus ex machina ramenant la paix et la tranquillité, ni oubli, ni ‘’reparo’’ annulant la destruction d’un coup de baguette magique.


Plus globalement, au niveau du scénario et de l’architecture du film, Les Animaux Fantastiques est riche en personnages, en décors, en effets spéciaux et en scènes qui nous en font profiter, à tel point qu’on peut se sentir comblé comme perdu. On peut avoir le sentiment que le film se disperse, on a des impressions de collage, de film pas fini car l’équipe ou la production a voulu faire rentrer trop de choses et trop contenter tous les publics. Peut-être la dramaturgie et les principes du montage ont-ils été remplacés par un rythme audiovisuel qui nous entraînera assez pour en faire un bon blockbuster. Si le pari semble en partie réussi, le film s’en trouve aussi affadi, comme inachevé. Par exemple, les péripéties de Newt, Tina, Queenie et Jacob ne sont pas faites du même bois que celles de Grindenwald et de l’Obscurial, si bien que le passage d’une ambiance à l’autre ne rend pas justice à la qualité des scènes prises isolément. Aussi, les combats ou l’évasion du Ministère de la magie en font presque trop, les scènes d’action m’ont paru un peu trop forcées, comme si l’équipe du film s’obligeait à suivre les recettes d’un bon blockbuster.


Difficile de noter ce film : 9/10 pour le plaisir, 2/10 pour le scénario, 8/10 pour le visuel (bien que trop fade et convenu à mon goût, j'y ai pris du plaisir et j'y vois un travail poussé susceptible de séduire largement), 6/10 pour l’apport à l’univers d’HP …

Nomei-Pando
7
Écrit par

Créée

le 7 janv. 2019

Critique lue 105 fois

Nomei-Pando

Écrit par

Critique lue 105 fois

D'autres avis sur Les Animaux fantastiques

Les Animaux fantastiques
Maxime_T__Freslon
5

Dans la continuité de ses prédécesseurs... mais pas pour le meilleur.

EDIT ! Y’avait autant de raison d’être enthousiaste et heureux de voir la saga sur le sorcier à lunette au cinéma que d’être inquiet et sceptique quand on voit la politique actuelle des studios...

le 18 nov. 2016

91 j'aime

15

Les Animaux fantastiques
SmallThingsfr
8

Les Animaux Fantastiques : quand les sorciers se font équilibristes (100% spoiler)

Je l'ai attendu, elle est là. La nouvelle pierre de mon enfance. Harry Potter a aidé à construire beaucoup de choses en moi et, depuis la fin de la saga, j'attends son retour que je pensais...

le 16 nov. 2016

68 j'aime

7

Les Animaux fantastiques
ClémentRL
4

Critique de Les Animaux fantastiques par Clément en Marinière

J.K. Rowling, qui se heurte plus que personne à l'impossibilité empirique de se réinventer après le succès écrasant d'Harry Potter, se devait, pour la postérité, de laver sa réputation de l'infamante...

le 17 nov. 2016

60 j'aime

9

Du même critique

Une histoire vraie
Nomei-Pando
8

Le mythe lynchéen du quotidien

La façon de filmer de Lynch invite le spectateur à adhérer à ce qu'il voit, à reconnaître la réalité des images, d'une façon rare aujourd'hui : là où certains films de Lynch poussent l'étrange et...

le 5 janv. 2016

4 j'aime

La Haine
Nomei-Pando
8

L'actualité cyclique : une dégringolade en spirale

Après une semaine d'agitation médiatique et de soulèvements populaires étouffés en réaction aux violences sur ''Théo'', j'ai eu besoin de voir ce film. Les ''bavures'' policières et les heurts...

le 12 févr. 2017

2 j'aime

Samouraï Jack
Nomei-Pando
7

Un minimalisme hybride qui vous prenait au sérieux

Une de mes séries d'enfance dont je garde le meilleur souvenir, et aussi dont je me rappelle le mieux, (c'est pourquoi j'écris en ne l'ayant pas revue depuis au moins 10 ans). Le sérieux noble et...

le 16 févr. 2016

2 j'aime