Les Aristochats
7.2
Les Aristochats

Long-métrage d'animation de Wolfgang Reitherman (1970)

Les Aristochats est une subtile adaptation des écrits philosophiques de Nietzsche. De manière tout à fait évidente. Celui-ci considérait en effet que deux types de morales s'opposent à travers l'histoire humaine : la morale des forts, c'est-à-dire celle que les individus établieront spontanément, sur la base de leur personnalité, de leur propre rapport au monde, sans aucune influence extérieure venant courber leur jugement ; à moins qu'ils ne l'acceptent consciemment, l'ayant passée au tamis. La morale des faibles n'est pas spontanée en revanche : elle n'existe qu'après cette première morale, en inversant ses valeurs, elle s'oppose à l'affirmation de soi et à la liberté de la première morale, en voulant au contraire mettre en doute ce qui est affirmé, catégoriser l'affirmable, le ranger dans des cases, et induire un sentiment de culpabilité envers quiconque ne pourrait justifier ses propos (et accessoirement elle est celle que d'après Nietzsche, nous avons tous depuis deux millénaires donc c'est un petit peu difficile de s'en débarrasser). La morale faible déclare qu'il existe des "valeurs supérieures", supérieures à l'homme et auxquelles celui-ci devrait se plier (Dieu, l'amour, la nation, la science...). Précisons que Nietzsche ne sous-entends pas par là qu'il y a d'un côté "les forts" et de l'autre "les faibles", (biologiquement tant qu'on y est ?) non l'idée est plutôt que chacun est constamment soumis à ces deux morales, mais que l'une prend selon notre vie, le dessus sur l'autre. Si vous faites quelque chose qui dérange le fort, il vous en parle et règle la question, puis l'oublie (pour faire court) puisqu'il a autre chose à foutre que de vous le reprocher ; alors que si vous faites quelque chose qui dérange le faible, celui-ci vous évaluera par rapport à cette action, il la gardera en mémoire, qu'il déclare ou non vous pardonner, il vous jugera par rapport à ce souvenir, il l'intériorisera (pour faire très court). Ce sont deux processus de création de valeurs : le fort agit, et le faible réagit.


Un des principaux aspects de la morale des forts peut se résumer en un simple concept : indépendance. Voilà bien la manière de vivre de Thomas O'Malley. Peu importe l'apparence pour ce chat de gouttière, ce n'est pas ce qui l'empêchera de chanter et danser seul dans la nature ou en ville (Nietzsche insiste souvent sur la danse et le chant, comme signes de la morale des forts, de l'acquiescement à la vie). Il n'a pas eu besoin d'une éducation morale par un maître humain pour savoir spontanément qu'il devait aider Duchesse et ses chatons, quitte à ne rien recevoir en échange. Il ne calcule pas son intérêt. Il déclare lui-même la spontanéité de sa manière de vivre : I don't worry what road to take, I don't have to think of that. Whatever I take is the road I make. Il est le surhomme nietzschéen, ou surchat si vous préférez.
Il paraphrase aussi Nietzsche en se qualifiant par des termes relevant de la noblesse : I'm King of the highway, Prince of the boulevard, Duke of the avant-garde. Nietzsche mettait en effet d'un côté les nobles ou "Aristocrates guerriers", (désignant les romains et grecs de l'antiquité, ou toute personne qui ne crée pas de valeurs par ressentiment intériorisé, mais par pathos de la distance (bon je vais pas rentrer dans les détails)), comme étant de la morale des forts ; et de l'autre côté leurs esclaves, dont le ressentiment naît par le refus de se rebeller, d'aimer quand même son bourreau, et le fait de se croire meilleur grâce à ça (en très gros, pour faire court).


On peut considérer, d'une façon moins claire, qu'Edgar est de la morale des faibles. Le contraste entre les personnages n'est pas si présent mais après tout, il est bien le servant de Madame Adelaide Bonfamille, et c'est par un ressentiment contre elle et l'impression qu'il n'a pas ce qu'il mérite (son argent) qu'il décidera de tuer ses chats (ce qui spontanément est très très très très grave enfin !!! voyons !!!). Il n'intériorise cependant pas son ressentiment et ne paraît ruminer contre sa patronne, ce qui montre comme Disney a été subtil dans la création de ce personnage.
On remarquera qu'un bon nombre de personnages principaux se moquent de lui, avec une certaine bienveillance et non une méchanceté contre lui, ce qui est typique des écrits de Nietzsche sur les relations entre forts et faibles : le fort se moque, sans ressentiment, du faible, car il le trouve ridicule mais aimerait bien au fond pour lui qu'il cesse d'avoir sa manière absurde de vivre. Même à la fin du film, lorsque la cruauté d'Edgar est révélée, les chats ne font que s'amuser en l'enfermant dans une malle direction Tombouctou, ils ne cherchent pas à l'éliminer cruellement, ils s'en débarrassent simplement et n'intériorisent aucun ressentiment contre lui, au contraire : ils l'oublient. Nietzsche souligne en effet que les forts, s'ils ont bien entendu un ressentiment eux aussi contre toutes sortes de choses, ils ne le gardent pas, ils n'ont donc pas à pardonner (car ce serait garder la faute en mémoire) ils ne font qu'oublier cette faute quand l'individu reconnaît et apprend de son erreur ou est mis hors d'état de nuire.


La chanson des chats de gouttière est assez significative des mystères que nous, faibles hommes écrasés par 2000 ans de morale contre-nature, ne pouvons comprendre. Everybody wants to be a cat, because a cat's the only cat, who knows where it's at. Cette phrase est répétée tout au long de la chanson sans aucune explication, (et est par ailleurs très mal traduite en VF, car le sens mystérieux y est totalement perdu), même après la question de Marie qui précède la chanson : Who knows where what's at ?. Difficile de comprendre ce que signifie vraiment cette chanson, quand on entend des phrases comme A square with a horn makes you wish you weren't born ou Who wants to dig a long-haired gig or stuff like that. Il s'agit sans conteste du fameux "nouveau langage" souvent décrit par Nietzsche dans ses écrits : Nietzsche en effet emploie des métaphores, des paraboles, des phrases équivoques pour donner une direction à la pensée, mais pas pour lui donner un contenu de sens déterminé, coupant l'imagination et les pulsions, dans leur élan. Tout comme, sans comprendre exactement la signification des paroles de cette chanson, on a l'idée de ce pourquoi ces chats sont heureux, danseurs, chanteurs. O'Malley et Zarathoustra, même combat...
Cette chanson, Everybody wants to be a cat, signifie dans l'essentiel : Everybody wants to be free, libre de tout, de se comporter comme l'évidence spontanée le requiert, de créer son propre code moral. Tous les animaux non-humains du films exceptés peut-être Napoléon (dont j'ai du mal à comprendre le rôle nietzschéen du film, dans la mesure où Nietzsche qualifie directement le véritable Napoléon de surhumain et d'inhumain) et Lafayette, finissent par adhérer à cette manière de vivre, comme en atteste la fin du film. Un happy ending nietzschéen, il fallait le faire.


Dans le paragraphe 7 du second traité de la Généalogie de la Morale, Nietzsche explique que, ne pouvant supporter l'absence de raison de notre souffrance, à nous les humains, nous avons créé des dieux nous observant pour donner un sens à notre vie, quel qu'il soit.
Le schéma est le même, bien qu'inversé... lorsque nous regardons Les Aristochats.


Edit : Tous ces dislikes m'étonnent. C'est une critique un peu "pour rire" vous savez, rien de bien sérieux. Et ma note n'a rien à voir avec ma critique.

muleet
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le 29 juin 2015

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muleet

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