Les Aventures de Tintin - Le Secret de la Licorne par Kaman

Critique en trois dimensions d'un film vu en deux dimensions

Attendu et redouté, le nouveau film de Spielberg s'attaque à un monument du neuvième art d'une manière peu commune, pour ne pas dire inédite. Une oeuvre qui s'ouvre d'emblée sur un générique virtuose, extrêmement citationnel mais finalement assez peu proche de l'esthétique que l'on attribue à Hergé. Le ton est donné à demi-mot, oui il s'agit bien d'une adaptation en tout ce qu'elle suppose comme réappropriation de l'oeuvre. La scène qui ouvre le film ne fait qu'enfoncer le clou, à la fois du citationnel et de la mise à distance adaptive, puisque Hergé nous apparaît sous les traits d'un dessinateur de rue qui vient de dresser le portrait de Tintin. L'auteur de la célèbre série adresse implicitement trois questions au spectateur du film lorsqu'il demande ceci en nous montrant le dessin qu'il vient de faire: vous trouvez que ça lui ressemble? Les trois questions suggérées permettent d'aborder le film en autant de critiques relativement distinctes, celles-là mêmes que voici.

Une ressemblance esthétique?

Ce que nous brandit Hergé, c'est avant tout une image, Tintin tel que chacun l'a toujours connu dans la bande dessinée. Hergé s'érige alors en prisme déformant de la réalité de Spielberg, et tous les autres personnages issus du monde de Tintin connaissent le même sort sur une pancarte en arrière-plan. La réalité est pourtant autre puisque le prisme déformant est bien celui du cinéma, ici personnifié par Spielberg. Une altération assumée mais laissée toutefois à l'appréciation du public, comme en témoigne la question évoquée précédemment. Plus qu'un clin d'oeil touchant, il s'agit ici surtout de tenir à distance les discours sur l'imitation parfaite: non, le Tintin hybride, mi homme mi image, ne se veut pas le jumeau des dessins de l'auteur belge.

L'esthétique de la série dessinée n'en est pas pour autant reléguée à la simple citation amusante. Passage au cinéma oblige, elle s'est juste vue transformée. Le choix de l'esthétique fait par le tandem Jackson/Spielberg n'en finira probablement jamais de soulever des débats, pourtant il s'avère intelligent à de nombreux égards. Alors que nous connaissions déjà la bande dessinée, le dessin animé, les adaptations cinématographiques avec des acteurs en chair et en os, nous voici face à un objet visuel qui semble ne même pas être à mi-chemin du cinéma d'animation et du cinéma de captation, mais plutôt un objet au terrain propre.

Les frontières sont en effet inexistantes entre l'image de synthèse et les images captées, bien que l'image générée par ordinateur semble dominer. Si nous ne sommes probablement pas (encore?) arrivés à dépasser le seuil de l'indistinction entre ces deux natures d'images - l'effet continuant encore et toujours à s'afficher comme effet - Tintin apporte des pistes très intéressantes en détournant le débat. La vérisimilarité à laquelle s'accroche le réalisateur américain ne fait que peu de cas du monde réel, mais s'attache plutôt à reproduire le monde du petit reporter. Régi par des lois physiques dérivées de la réalité, parcouru de physionomies improbables ou encore dominé par une oscillation constante entre le détail et la simplification des traits, il avait jusqu'alors posé problème quant à la possibilité d'une adaptation fidèle esthétiquement. Spielberg le répète inlassablement: il attendait que les technologies soient au point pour adapter la bande dessinée, or au vu du résultat il semble juste de dire qu'il a attendu le bon moment.

Mais Tintin n'est pas qu'une esthétique, toute une pensée se déploie derrière ces traits. L'équilibre parfait entre le détail à bon escient et le dessin épuré des visages semble avoir retrouvé sa place dans le film. Les traits des différents acteurs sont effacés au profit d'une tendance à l'universalité, pourtant ils respirent l'humanité. La mise en mouvement de cases figées insuffle une vie de grande justesse aux personnages, ils se meuvent mieux encore que dans les dessins animés. L'archi-symbole issu du générique de ces dessins animés, à savoir Tintin qui court, gagne ici en force car il s'attache mieux à rendre la réalité du monde d'Hergé. L'extrême monstration, dans les bandes dessinées, de cette figure de la suspension en l'air, de gestes presque chorégraphiques, retrouve ici un équivalent qui mérite d'être souligné. Il en va de même lors, par exemple, du crash de l'hydravion dans le désert: l'inertie s'autodésigne comme fictionnelle.

Ce qui fascine probablement le plus est le rendu des textures, principalement quant à la peau des personnages. Malgré l'allure extrêmement lisse du visage de Tintin au premier abord, il subsiste des traces d'une humanité, ce qui le situe encore une fois à mi-chemin entre l'image et l'homme. A lui seul, le personnage principal s'érige donc en symbole d'une esthétique: Jamie Bell incarne et est incarné. Tout cela nous rappelle que la bande dessinée c'est avant tout des surfaces planes et que le cinéma se plait à montrer l'homme dans ce qu'il a d'humain. Spielberg, s'il ne nous montre pas l'avenir du cinéma, apporte au moins une pierre colossale à l'édifice de ce dernier en terme de possibilités esthétiques.

Une ressemblance scénaristique?

Question cruciale pour certains, accessoire pour d'autre, le traitement réservé par Spielberg aux bandes dessinées est pour le moins original. Si Le Secret de la Licorne et Le Trésor de Rackham le rouge constituent un dyptique, un bloc à la narration continue, et que Le crabe aux pinces d'or n'y est à priori pas lié, le cinéaste américain s'est permis des libertés. Le résultat qu'il nous livre n'est pourtant pas très éloigné de l'esprit de la série - si tant est que l'on puisse l'appréhender - et à cela je trouve plusieurs raisons.

Il y a effectivement de grosses ruptures du fil chronologique établi dans les B.D., avec plus ou moins de réussite selon les cas, mais rien de fâcheux. Tout se base sur la perception globale de l'oeuvre d'Hergé, l'impression que les aventures de Tintin, c'est avant tout un monde. Une appréhension finalement assez feuilletonesque, allant puiser ça et là les ingrédients pour donner lieu à une recette cinématographique. Cela semble importer assez peu de savoir à quel moment se rencontrent les protagonistes dans la B.D. au vu du film, ce dernier s'affichant comme un condensé habile de traits importants. En ce sens, le film ressemble aux couvertures d'albums de Tintin, celles-là mêmes qui nous mettent généralement devant des dessins qui n'existent pas au sein de l'album mais qui sont une compilation de moments clés synthétisés en un instant fictif.

Le besoin se fait sentir, dans le film, d'entamer quelque chose, et tout le paradoxe vient probablement de ce que Spielberg a choisi d'adapter des aventures issues du milieu de la série. Alors que tout est plus ou moins déjà en place lorsque le lecteur se plonge dans Le Secret de la Licorne après avoir lu les épisodes précédents, ici tout reste à faire. C'était un pari risqué mais relevé haut la main au final, truffé d'allusions bien amenées pour le tintinophile, et extrêmement abordables pour le néophyte.

Une ressemblance qualitative?

S'il s'agit probablement là de la question la moins explicitement posée, elle n'en constitue pas moins le point de départ d'une véritable critique du film. Les qualités et défauts de la B.D. sont bien connus de tous les 7 à 77 ans, nul besoin donc d'épiloguer à ce sujet.

Ce qui attirera le plus notre attention est cette formidable capacité qu'avait Hergé à raconter des histoires, ce qui faisait de la rencontre Spielberg-Tintin quelque chose de presque inévitable. On a effectivement reconnu au chéri d'Hollywood des talents de conteur hors normes, une justesse dans la simplification des traits narratifs. Il était inenvisageable que son adaptation échoue sur ce point, et l'échec n'a en effet pas eu lieu.

Anecdote maintes fois répétée que celle de Spielberg apprenant l'existence de Tintin après avoir réalisé Indiana Jones. Une rencontre tardive et due à une coïncidence, mais qui a laissé des traces dans ce film. Bon gré mal gré, les points communs sautent aux yeux du spectateur. Bon gré car c'est là une belle démonstration en images des similarités qui existaient entre deux oeuvres de natures différentes. Là où le bât blesse en revanche, c'est dans un certain forcage d'un trait propre à Spielberg dans une oeuvre qui n'en avait pas besoin. Les scènes d'action sont en effet longues et à côté du ton de l'ensemble, et leur accumulation à l'approche du final finit par donner un goût amer au sortir de la salle tant on frôle le grotesque. Seuls véritables points négatifs, avec les quelques traits d'humour trop faciles, ces scènes respirent l'effusion inutile, une monstration d'une spectacularité qui résidait déjà implicitement dans des scènes d'une plus grande finesse.

En guise de conclusion, nous ne pouvons que nous réjouir de voir arriver sous peu une suite du même acabit, en gardant l'espoir que ces quelques fioritures gênantes n'y retrouvent pas leur place.
Kaman
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le 1 nov. 2011

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