Deuxième réalisation de Scott Cooper, Les Brasiers de la Colère s’inscrit dans la continuité de son premier long-métrage, Crazy Heart, dont l’accueil avait été similaire. Produit par Leonardo Dicaprio et Ridley Scott, initialement pressentis pour prendre part au projet, le dernier thriller du réalisateur américain se montre à la fois efficace et novateur. Peut-on parler ici de chef-d’œuvre inattendu ? Entre casting prometteur et distribution quasi-inexistante, Les Brasiers de la Colère oscille entre les promesses et la déception annoncée.



Am I supposed to be scared of him ‘cause he sucks on a lollipop?



La force première des Brasiers de la Colère réside dans un casting étoffé, dont les figures de proue sont Christian Bale et Casey Affleck. Si le premier entame un tournant majeur de sa carrière après avoir quitté la trilogie de Christopher Nolan, le second n’en est encore qu’aux prémices d’une carrière prometteuse, pourtant déjà marquée par des rôles majeurs, que ce soit dans le Gone Baby Gone de son frère Ben Affleck, ou dans le Gerry de Gus Van Sant. Dans le rôle de Rodney, le petit frère brisé et marginalisé à son retour d'Irak, qui toutefois ne le laisse jamais transparaître devant celui qu'il admire, Russell, son grand frère, Casey Affleck brille. Christian Bale, quant à lui, confirme son statut d’acteur talentueux. Véritable protagoniste de l'histoire, son évolution est frappante : à la fois pesante et quasi-inexistante, cette évolution interroge, en tant qu’elle nous retranscrit avant tout la fatalité de la vie de Russell, à travers des virages tragiques. On note également les excellentes prestations de Willem Dafoe et Woody Harrelson dans des rôles antagonistes.


Les Brasiers de la Colère prend un certain temps à démarrer, Scott Cooper s’appliquant à développer ses personnages et leur histoire. Il s’agit ici de permettre à la tragédie de prendre une véritable ampleur, avant qu’elle ne se déploie lors de la seconde moitié du thriller. En résulte un sentiment initial d’égarement face à un prélude assez lent. Pourtant, la scène d’ouverture est à la fois surprenante et haletante et son caractère quelque peu anxiogène semble dénoter de l’ensemble du long-métrage. Toutefois, on note un tournant majeur dans la narration qui permet à celle-ci même de s’accélérer, laissant alors place à un suspense vertigineux, qui ne souffre pas d’une action démesurée. Les Brasiers de la Colère se défait très vite de toute prévisibilité et se permet de briser certains codes cinématographiques majeurs en termes de narration.



I got a problem with everybody



La dialectique majeure des Brasiers de la Colère repose sur le développement d’une relation fraternelle très forte, qui fonctionne parfaitement à l’écran. Le spectateur plonge dans celle-ci de façon très intimiste, mettant dès lors en exergue une sincérité singulière et un dévouement mutuel poignant. Les talents d'acteur de Christian Bale et Ben Affleck sont remarquables dans les scènes de confrontation tant les deux hommes inspirent une certaine aisance à passer par toutes les émotions. Le développement de cette relation ne va cependant pas monopoliser l’intégralité de l’intrigue et, au moment où l'on peut s’attendre à ce qu'elle prenne de l’ampleur, elle ne semble plus qu’un simple prétexte à l’action.
En termes d’image, Les Brasiers de la Colère adopte une esthétique singulière, celle d’une Amérique reculée dont le climat rude installe un sentiment de malaise. Le travail de Masanobu Takayanagi est en ce sens une véritable réussite, et confirme son talent après la réussite artistique de The Grey en 2011. Les choix de la direction artistique justifient les choix de vie des deux protagonistes : s’installe ici une opposition signifiante entre la réalité d'une vie rude et honnête et une vie presque surréaliste entre combats illégaux, règlements de comptes et trafics de drogues.



My brother was supposed to meet me here a half an hour ago



Si la tentation de parler de parcours initiatique est réelle, puisqu’il s’agit bien de suivre l’évolution d’un personnage Russell, il ne faut toutefois pas se détacher du caractère éminemment tragique de la réalisation de Scott Cooper. De fait, on ne peut réellement parler de parcours initiatique. Mais s’opère ici une rupture : alors que la vie de Russell est prise dans le flot de la tragédie, il s’applique à aller à contre-sens de celle-ci, n’acceptant pas la fatalité, ce qui lui permettra d’émerger dans une scène finale grandiose. En fait, on remarque que Russell restera Russell, du début à la fin, malgré ce qu’il traverse tout au long de la narration.


Finalement, c’est dans la dernière scène que réside toute la force des Brasiers de la Colère. Cette scène, dans son intégralité, se joue dans le regard d’un grand Christian Bale, un regard qui porte tout ce que le long-métrage développe pendant une heure et demi. Il s’agit bien du regard d'une vie, mais pourtant pas d'une vie brisée comme on pourrait s'y attendre. C’est ici que la réalisation de Scott Cooper témoigne de son originalité, en tant qu’elle s’émancipe de certains codes traditionnels qui auraient voulu qu’elle plonge dans la simple narration vindicative. Mais non, Scott Cooper refuse d’achever le mouvement narratif dans une image attendue et convenue. Au contraire, tous les enjeux développés sont retranscrits dans un seul et unique regard, qui renouvelle réellement tout le propos du film. On pourrait toutefois souligner qu’un cut une à deux minutes plus tôt aurait été préférable, laissant une fin davantage ouverte.


La force des Brasiers de la Colère est donc de ne rien promettre à un spectateur qui est laissé errant au centre de la narration, Scott Cooper laissant la place au talent de ses acteurs. Jamais brusque, la réalisation permet de développer la narration quand il le faut et fait monter la tension au moment propice. Fort d’un casting charismatique, le long-métrage permet de transmettre une histoire crédible dont les multiples enjeux suscitent une émotion sincère. Finalement, Les Brasiers de la Colère prend véritablement appui sur la réaction du spectateur et œuvre pendant deux heures à créer un final singulier, puisqu'il s’émancipe d’une norme qui s'est installée ces dernières années dans le genre du thriller.

vincentbornert
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le 25 janv. 2014

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le 25 janv. 2014

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