Comment Construire Un Twist [Analyse Filmique]

! FULL SPOILERS !

Voici le genre de films qu'on pourrait avoir si le cinéma français n'avait pas peur du genre, même juste quelques scènes de genre. Non, on doit se contenter de "La Nuit Du 12", un thriller entrecoupé de scènes mélodramatiques gratuites... Mais bon, c'est un autre sujet.

Les apparences sont souvent trompeuses, l'habit ne fait pas le moine, poker face... Pas mal d'expressions et termes peuvent symboliser ce film qui joue tout le long sur nos aprioris, notre façon de penser arrêtée et parfois trop "logique", surtout en ce qui concerne les affaires criminelles. Le film nous formate et fait tout pour nous faire penser de telle et telle façon sur les personnages, sur l'histoire, pour finalement nous mettre une énorme gifle avec un twist digne des plus grands du cinéma.

Dès la scène d'ouverture, on comprend que ça ne va pas être le film de tribunal classique, une musique à fond qui met déjà en tension, tout en étant en rythme avec les titres du générique. Un montage synchro avec l'image, wouah ! Serait-on dans un film Américain ? Musiques composées par la sœur du réalisateur pour l'anecdote.

Ensuite un plan-séquence avec des mouvements de caméras très lents, bien qu'un peu trop long à mon gôut, la scène est indispensable pour poser le contexte de cette affaire et ses différents acteurs, pour qu'on ait bien tous les tenants et aboutissants et qu'on puisse plonger ensuite dans le récit. La scène reste très réaliste, à tel point que la dynamique, bien qu'un peu clichée, avocat de partie civile sobre et touchante, et avocat de la défense agressif et théâtral, est parfaitement retranscrite. Nottamment grâce à l'aide d'un judicieux choix de casting en Natalie Tannous pour l'avocate partie civile, une comédienne très clame et posée, et Pierre Chagnon, en avocat de la défense, une des voix les plus légendaires du doublage canadien, un homme très théatralisé donc (La voix de Jonah Jameson dans Spiderman pour dire).

Mais si le film est à la fois un film de tribunal et un thriller, le génie de Pascal Plante selon moi, est d'en avoir fait presque un buddy-movie (sans le côté trop comique bien sûr), sur une grosse partie du film, entre les deux personnages principaux, qui sont deux filles. Car la relation entre Kelly et Clémentine, est prépondérante dans le film. Au-delà d'apporter une touche de légèreté et de quoi souffler au film, et de surtout rendre le rythme digeste, leur relation fait non seulement écho à cette thématique des apparences trompeuses, mais elle contribue à nous méprendre, nous spectateurs, encore plus, sur les intentions du personnage principal, Kelly.

On a donc d'un côté Kelly, cette riche, grande, et belle mannequine qui prend soin de son corps en faisant du sport chez elle, en faisant du tennis, et comme si ça ne suffisait pas, elle également bilingue et surdouée en technologie... Et de l'autre côté, Clémentine, une petite vagabonde sans argent qui dort dans la rue, et qui semble défendre un homme que tout accuse d'être un sérial-killer fou. Toutes ces apparences, ces dits et non-dits nous font déduire, rationnellement que Clémentine est une fan du sérial-killer et que Kelly est, comme nous, saine.

D'ailleurs, quel est le rapport de Kelly à cette affaire ?

Analysons le personnage de façon rationnelle :

Kelly va tous les jours au tribunal voir le déroulement de l'affaire, au point où elle en dort dehors pour être sûr d'avoir sa place, pas très saint comme comportement me direz vous, mais en même temps, si tu veux ta place pas le choix, il y en a bien qui campent devant des cinémas pour aller voir le dernier SW, ce sont pas des détraqués pour autant.

Dans le tribunal, Kelly dévisage longuement l'accusé, son regard est... Intense, c'est de la colère. Donc Kelly en veut à cet homme, elle le trouve horrible et voudrait le voir mort. Logique, on serait tous en colère en voyant un homme qui a massacré des jeunes adolescentes, et puis Kelly est une jeune femme, normal que ça la touche particulièrement. Elle est tellement touchée qu'elle en pleure même, on commence à se poser des questions sur sa relation avec cette affaire, elle a échappé un jour à cet homme peut-être ?

Quand Clémentine lui propose un café au début du film, lors de leur rencontre, car elle aime pas le sucre et qu'on lui a mit du sucre dedans, Kelly lui dit qu'elle peut aller l'échanger, car après tout "c'est leur travail de pas se tromper". Phrase qu'on interpréter comme "C'est leur boulot à la justice de pas se tromper", elle veut que les choses soient faites bien. On sait également que Kelly va voir l'arbre où on peut se receuillir sur la dernière victime du tueur, elle fait tout ce chemin pour honorer la mémoire de cette pauvre fille morte.

Quand on se dit que Clémentine est clairement une fan du sérial-killer, alors que Kelly est à l'opposé, on se dit que Kelly ne va pas tarder à lui dire de dégager, qu'elle n'est pas une folle comme elle. Mais non, au contraire, voyant que Clémentine est à la rue, elle l'héberge chez elle, Kelly est décidément donc une sainte. Et quand Clémentine semble défendre ce présumé coupable, Kelly lui dit que pourtant tout l'accable, comme nous aussi on lui dirait, car on est rationnel comme elle.

Et finalement, on apprend, dans une scène frissonnante et glaçante, que Kelly est en fait une groupie, fan sur serial-killer. Et c'est là qu'on comprend qu'on s'est fait bluffer, et que tout est à réinterpréter !

Kelly va tous les jours au tribunal, quitte à dormir dehors, car c'est une groupie tout simplement.

Quand Kelly dévisage le sérial-killer avec un regard intense, ce n'est pas de la colère, c'est de la passion, une passion si forte qu'elle en pleure. Ce regard insistant, c'est pour que son idole lui jette à son tour un regard, regard auquel elle aura le droit à la fin.

Kelly, qui semble pourtant assez antipathique, sûrement parce qu'elle parle très peu ("Je vois pas le rapport, moi non plus je parle pas beaucoup…""Et vous êtes, parfaitement antipathique") héberge grassement Clémentine, cette dernière dira même avant de quitter la ville "tu as été très gentille avec moi, pour une raison que j'ignore", on se disait alors que c'était par gentillesse. Mais non, Kelly croyait simplement que Clémentine était elle aussi, fan du sérial-killer, alors c'était une potentielle amie groupie.

Kelly va se recueillir sur l'arbre de la dernière victime par compassion ? Non, elle est tellement détraquée qu'elle aurait aimé être à la place de cette victime, voilà pourquoi elle se rend où elle habitait. Et cette tendance se confirme quand elle se rendra dans sa chambre à la fin du film, à la façon de l'acting studio, elle embrasse complètement son personnage de petite lycéenne blonde, elle rêve de se faire capturer par ce sérial-killer...

Et en ce qui concerne Clémentine, elle devient juste une sorte de militante qui pensait voir un homme innocent qu'on accusait à tort, elle s'est battu en pensant sauver un innocent, c'est elle la rationnelle des deux en fait. Et honnêtement, c'est même elle la seule personne rationnelle de tout le film, nous spectateurs compris, car encore une fois, la présomption d'innocence est visiblement quelque chose de dur à comprendre. La dynamique entre Clémentine et Kelly fait penser à la notion du détournement d'attention en magie, on est tellement occupé à juger Clémentine, qu'on ne fait pas attention à Kelly. On a jugé directement la copine vagabonde sans un sou comme la fan du sérial-killer, et la copine mannequin riche, comme la fille saine. Encore une belle leçon de vie. (Voilà pourquoi il faut regarder des films !)

Et c'est parce que tout ça a été parfaitement posé dès le début, que le twist de fin est si bon. Et ça devrait être le but de tous les twists, remettre en cause tout ce qu'on croyait depuis le début du film. Tout ce travail pour nous faire penser de telle ou telle façon, nous faire dire qu'on comprend les intentions de tous les personnages, pour au final tout renverser en 2 minutes... Du grand cinéma !

Et comme le scénario est très bien écrit, tous les sous-thèmes du film résonnent parfaitement avec son message. Le mannequinat devient la métaphore d'une fille qui joue un personnage, se maquille, se déguise, on ne connaît pas son vrai visage. Le poker devient lui la métaphore du "poker face" de Kelly, elle ne montre aucune émotion, elle nous bluffe subtilement et elle est prête à abattre sa dernière carte. Carte qu'elle abat au tribunal, où on est aussi choqué que si elle posait un Royal Flush sur la table. Même la tagline du film "chaque tueur en série a ses admiratrices" nous conditionne pour nous faire nous poser des questions sur "qui est son admiratrice ?" dès le début.

Et si j'ouvrais avec le cinéma français en début d'analyse, c'était pas gratuit, un tel film n'aurait jamais pu voir le jour en France. Pourquoi ? Une femme qui idolâtre un sérial-killer homme, qui massacre d'autres jeunes femme ? Vous vous foutez de notre gueule ? C'est pas possible, les gens veulent pas voir ça bien sûr. Non on va plutôt faire 2h sur les familles des victimes à coups de scènes mélodramatiques, ça sera mieux. (La douleur des ces familles est immense bien sûr).

Et ironiquement, c'est parce qu'on est matrixé et biberonné à ce style de drame ou faux thriller français, qu'on est programmé pour ne rien voir venir au twist du film. On se dit que Kelly est forcément une jeune féministe engagé dans l'affaire car ça touche des jeunes femmes, qu'est ce qu'un film francophone pourrait bien dire d'autres de toute façon ? Et boum, l'impact en est d'autant plus fort.

Hugo-R
9
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le 24 janv. 2024

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Hugo-R

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