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Historiquement, le thème du voyage a plus que souffert entre les mains de l'industrie du spectacle. Souvent galvaudé et matraqué de différents clichés aux cours des divers festivals et cérémonies de remise de prix, par des acteurs et des cinéastes considérant chacun de leurs déplacements comme un véritable voyage, pourtant, le voyage n’est pas qu’une simple action, c’est tout un ensemble de choses qui ne peut se définir avec des mots, et c’est ce thème bien précis que tente d’explorer Peter Weir avec ce long-métrage. Intégrant des détails du roman de Slavomir Rawicz "The Long Walk: A True Story of a Trek to Freedom" tirés d'entretiens avec des survivants ayant réellement échappés aux goulags de Sibérie, Weir (également co-scénariste sur ce film) utilise la toile de fond historique comme point de départ.


The Way Back restitue avec force le sens du mot voyage, en nous contant l'histoire d'une randonnée de 10’000 kilomètres d'un goulag sibérien en Inde via le désert de Gobi et l'Himalaya. La réalisation même de ce film a sans doute été un voyage en soi, mais Weir ne fait pas partie de ces gens qui ressentent le besoin irrépressible d’en parler, de tout expliciter dans les moindres détails. Ce cinéaste a toujours été très habile pour éviter les clichés, ce qui pourrait expliquer le succès très relatif de ce film, autant auprès du public que de la critique, fort dommageable pour une œuvre présentant par bien des aspects une connotation universelle, basée sur des thèmes forts.


Sur-ce, il est temps de faire un arrêt du côté du synopsis:


L’intrigue prend place en 1939, débutant avec une courte et brutale scène dans laquelle Janusz (Jim Sturgess), un officier de cavalerie polonais, se voit accuser d'être un espion étranger et condamné à 20 ans de goulag. Le principal témoin confirmant ses soit-disant actes se révèle être sa femme, cependant, nous découvrons bien vite qu’elle a en fait été torturée et forcée à apporter un faux témoignage contre son mari. Janusz ne peut se résigner à la blâmer pour cela, décidant plutôt d’utiliser sa frustration pour tenter coûte que coûte de rentrer chez lui afin de pouvoir la retrouver.
Après plusieurs mois d'emprisonnement, Janusz et une poignée d'autres prisonniers décident de s’évader. Ils forment un groupe pour le moins mal assorti. En plus de Janusz et ses compatriotes, on comptera un comptable yougoslave (Dragos Bucur) accompagné par un lugubre prêtre letton (Gustaf Skarsgard) et par "Mr Smith" (Ed Harris), taciturne ingénieur américain pris dans le piège des purges Staliniennes. Puis il y a Valka, un criminel russe joué par un Colin Farrell criant d’authenticité. Les choses s’accélèrent lorsque Janusz rencontre Khabarov (Mark Strong), un prisonnier prétendant connaître une issue. Après avoir rassemblé des approvisionnements, ils prennent la poudre d’escampette pendant une violente tempête de neige et parviennent donc à s’échapper. Lorsqu'ils décident de prendre une pause, le blizzard fait toujours rage, les cachant de leurs poursuivants tout en menaçant de les congeler à la mort. De cette façon, ils se voient introduits à l'impitoyabilité de la nature, capable de donner mais aussi de reprendre. Weir tente son pari le plus risqué après la fin de la tempête, en introduisant le personnage d’Irena (Saoirse Ronan), une fugueuse de 14 ans échappée d’un orphelinat sibérien. Suivant les évadés, dans l’espoir qu'ils l’emmènent avec eux, ce qu’ils font à contrecœur. Afin de survivre, ils devront désormais se rassembler et se protéger les uns les autres, malgré les dangers qui les attendent tout au long du chemin...


7 ans après sa dernière production, le film historique à grand spectacle "Master and Commander: De l'autre côté du monde", Weir est revenu à ses premières amours avec un film très proche thématiquement de son classique de 1975 "Picnic at Hanging Rock" dans lequel trois personnages s'aventuraient dans le désert pour y disparaître. Dans The Way Back, plusieurs hommes et une femme disparaissent dans un paysage vide et luttent pour rester en vie dans des conditions de plus en plus oppressantes. Dans ce film, aucun combat avec les soldats soviétiques n'est présenté, et l'évasion de la prison en elle-même est une séquence sans grand spectacle, qui manque cruellement de suspense. Mais là n'est pas la question, car il ne s'agit pas d'un film de guerre, et encore moins d'un film à grand spectacle. En traitant son intrigue comme un véritable piège psychologique, découlant des spécificités de l'époque, Weir donne à son scénario une qualité philosophique, ruminative, entraînant de fréquentes convulsions au cours de ses 133 minutes, uniquement ternies par une fin quelque peu répétitive. Cependant, The Way Back transmet magistralement le sentiment d'isolement de ses personnages.


Le fait qu'aucun d'entre eux ne soit motivé par des motifs idéologiques aide à éviter la nécessité de politiser leur sort. Bien que le jeune Janusz ait été accusé à tort d'espionnage envers les Russes, il ne souhaite qu'une chose, retrouver sa femme. L'ingénieur américain Smith est simplement venu en Russie pour travailler, quant au criminel Valka, il ne s'agit que d'un homme féroce, agissant en leader grâce à ses qualités de survivant, apprises de lui-même dans la rue. Leurs origines et leurs volontés nourrissent une dynamique globale, plutôt que de servir, comme souvent dans ce genre de film, à élaborer une thèse informant le spectateur au sujet du tempérament de l'époque, de sorte que ce film se révèle être plus une étude de pensée qu'une étude idéologique, un parti-pris pour le moins intéressant.


Le travail des acteurs a d'ailleurs son importance dans le ressenti, notamment en ce qui concerne les échanges entre Smith et Janusz, qui parlent constamment à voix basse de l'arbitralité de leur situation, Smith considérant la bonté de Janusz comme son plus grand atout contre le chaos et la folie. La très forte alchimie partagée entre ces deux personnages soutient cette approche distendue, qui s'appuie sur des conventions mais les traite de façon artistique plutôt que divertissante. L'étude comportementale prend également des airs plus viscéraux lorsque la question du cannibalisme entre en jeu, le comportement humain primordial et son instinct de survie individualiste est ici traité comme une menace à la cohésion du groupe, et aux chances de survie du plus grand nombre. Car si la mort fait inévitablement diminuer la taille du groupe, elle se produit arbitrairement, presque pacifiquement, les hommes sont ici à la merci de la nature plutôt que de leur propre violence. En ce sens, The Way Back pourrait plus être vu comme une succession poétique de rencontres, plutôt que comme un récit véritablement cohérent et réaliste.


La troupe de prisonniers en fuite sur laquelle se concentre le film est composée d’un mélange très volatil de personnalités, épicé par la présence de Valka, un meurtrier condamné, tout semble indiquer que la cohésion de ce groupe est destinée à voler en éclats, mais Weir résiste résolument à exploiter toutes les facettes ténébreuses de l’intrigue. Au lieu de cloisonner ses protagonistes, il utilise l'arrivée d'Irena pour forcer ses personnages à adopter une forme de camaraderie qui ne pourra que croître, utilisant le langage comme un vrai élément rassembleur. Il s’agit certes d’une vision idéaliste de la nature humaine poussée dans ses derniers retranchements, ce qui est probablement l’une des principales causes des critiques négatives adressées à ce film, mais il serait dommage de s’arrêter à cette lecture très premier degré, principalement car l’objectif même de ce long-métrage n’est pas tant de cibler les rapports humains que de parler du lien indicible liant les hommes à la nature. Une nature qui insiste pour les garder obsédés envers elle, offrant un catalogue de mesures incitatives, comprenant l'hypothermie, la cécité nocturne, les engelures, les saignements de pieds, ainsi que le risque de paludisme et d'insolation. Ce parcours s’étendant des plaines glacées de Sibérie jusqu’au chaudron du désert de Gobi constituera la vraie épreuve de force de nos protagonistes, plus que la cruauté des hommes, c’est celle de la nature qui sera l’obstacle le plus difficile à franchir.


Dans ce film, la nature est certes impitoyable, mais elle offre également des moment de beauté et de bien-être, de par la grandeur des paysages visités, chaque lieu traversé constituant une petite victoire pour Janusz et ses ouailles, jouissant de chaque journée supplémentaire passée sur cette terre tout en subissant les drames inhérents à la survie dans un milieu hostile. Malgré son intrigue basée sur un fastidieux voyage, The Way Back est loin d'être un film obstiné. Weir a toujours eu un talent certain pour cristalliser les moments de grâce magnifiant une ambiance sombre. Autant dire que cette intrigue était faite pour un cinéaste comme lui, et que ce film constitue un voyage qui vaut la peine d’être vécu.


On pourrait facilement comparer The Way Back avec un autre film sorti la même année, et ayant connu bien plus de succès, à savoir Le Discours d’un Roi, tout comme The Way Back, il s’agit dans le fond d’une sorte de feel-good movie détourné, utilisant à peu près tous les ressorts disponibles pour faire rentrer le public dans un cocon de bien-être. Mais le film de Weir utilise une autre méthode. On se concentrera plus ici sur une forme d’émerveillement devant l'indomptabilité de ses héros, sans pour autant obtenir un film façonné autour des hauts et de bas composants l'histoire de survie classique. Ainsi, à chaque fois que l'intrigue semble se diriger vers une forme de stéréotype, Weir détourne habilement son récit, en nous rappelant que son long-métrage est moins un film de personnage qu’un film parlant de la seule force à l’œuvre ici, à savoir Mère Nature, une entité n’ayant que faire de la structure en trois actes. Une fois dans le goulag, nous sommes d’ailleurs vivement introduits au thème principal du film avec cette rengaine: "Mère Nature est votre geôlier, et elle n'a pas de pitié", prononcée par les nouveaux détenus. Cette approche présente toutefois des défauts, surtout vers la fin, quand la méticulosité de la mise en scène de Weir commence à faiblir. Bien qu'elle ne succombe pas tout à fait au syndrome Schumacher, la dernière partie du film paraît très sommaire, surtout prise après deux tiers présentant un magnifique sens de l’exactitude formelle.


Et en parlant de formel, la réalisation de Weir est au rendez-vous, comme souvent, on suivra ainsi ce groupe de personnages errer dans cinq pays différents et à travers toute une variété de paysages magnifiques, des forêts glacées au désert aride, le réalisateur semble considérer les ambiances induites par ces lieux comme étant tour à tour sublimes et écrasantes, alternant d’imposants panoramas à 180 degrés de montagnes enneigées avec des plans plus intimes du ciel nocturne tapissé d'étoiles au milieu des arbres. Le paysage triomphe d’ailleurs souvent du personnage dans ce film. Peter Weir fait de ce conte de guerre une aventure élégante, excitante, désuète, délaissant presque volontairement son côté épique, en avouant à demi-mots une inspiration pourtant évidente héritée des anciens cinéastes de studio comme Howard Hawks. La mise en scène de Weir s'approche parfois de la perfection, notamment dans une séquence prolongée qui voit les évadés restants errer dans le désert, semblants comme nappés dans une brume onirique. C’est malheureusement à ce moment précis qu’une très mauvaise idée se met en place, terminant le film par une pensée inutilement didactique. Au fur et à mesure que le thème musical s’étoffe, les derniers plans sur les personnages se voient superposés à des séquences d'archives retraçant la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Au-delà de son aspect hautement rhétorique, cette promenade à travers l'histoire fonctionne totalement à contre-courant de la principale force du film, à savoir son côté intemporel. En effet, le plus grand atout de The Way Back reste le fait qu’il se concentre sur ses personnages, et leur combat contre les forces de la nature, sans qu’aucune notion de temps ou d’époque ne vienne interférer, en dehors de cette fin bien maladroite.


Cependant, outre son manque de pertinence dans ce contexte, il faut reconnaître que cette scène finale n’est pas dénuée de sens: Weir a simplement voulu montrer son héros "marchant" à travers l’histoire, au lieu de retourner chez lui à la fin de son voyage, passant à travers l'occupation soviétique de l'Europe Centrale, à travers la Révolution Hongroise de 1956, puis le Printemps de Prague de 1968, pour finalement rentrer chez lui en Pologne, uniquement après la chute du communisme. L'absence de happy end est probablement l’un des aspects ayant dérangé la plupart des spectateurs, même si ce concept est probablement inconnu pour quiconque ayant vécu en Europe de l’Est après la fin de la Seconde Guerre mondiale.


Certains noteront également quelques détails suspects, comme le fait que National Geographic soit l’un des principaux partenaires de la production, ou que l’ensemble du film rappelle un peu trop facilement l’œuvre de David Lean, notamment Lawrence d’Arabie ou Docteur Jivago, parallèle évident compte tenu du fait que ce film se base également sur une histoire vraie se déroulant en temps de guerre, ceci couplé au traitement plutôt froid de certains personnages et à son imagerie inquiétante, inhérente aux films de prison et de survie sauvage, et l’on obtient au final un film pouvant facilement occasionner le rejet d’une part importante de l’auditoire.


Le montage de The Way Back est également un point potentiellement dérangeant. On ressent souvent une impression de saut en avant injustifié, ce qui amène au final une intrigue parfois abrupte et décousue, et c’est dans ces moments précis que la mise en scène et la photographie sont d’une aide précieuse. En effet, le directeur de la photographie, Russell Boyd, utilise pour son imagerie des tons de terre sombre et un éclairage naturel avec des résultats exceptionnels. Cela se remarque particulièrement dans une séquence prenant place à l’intérieur d’une mine, où un brouillard brunâtre flotte dans l’air, donnant à la scène un aspect étrange et onirique. En outre, les changements saisonniers dénotent un travail complet de mise en image, et aident à donner un vague sens du temps à cette histoire d'évasion tout en fournissant aux protagonistes des obstacles supplémentaires à surmonter. A ce propos, on notera un formidable travail sur l’apparence des acteurs, notamment en ce qui concerne les maquillages pendant les scènes prenant place dans le désert, tellement détaillés que l’on en viendrait presque à se demander si les acteurs n’ont pas réellement souffert pendant le tournage.


Au final, on pourra également se questionner sur la publicité fait autour de "l’histoire vraie" racontée par ce film. "A Hollywood, la réalité est une marque que les gens peuvent acheter", selon Peter Morgan, scénariste notamment du film "The Queen". Dans un monde médiatique où tant de films, de livres et de programmes télé cherchent à se payer la part du lion, raconter une histoire se déroulant dans un cadre familier, comme la Seconde Guerre Mondiale, est l’assurance d’obtenir une attention supplémentaire.


The Way Back est en ce sens un film pionnier: Il représente la première tentative Hollywoodienne d’une représentation d’un Goulag soviétique de façon crédible, jusque dans ses moindre détails, ceci à l’aide d’une énorme documentation, méticuleusement étudiée. Weir et son équipe ont clairement abattu un travail dantesque de reconstitution, allant jusqu’à respecter les plus infimes différences entre les uniformes des gardes conduisant les prisonniers hors du train et ceux les recevant dans le camp.


Cependant, tout cela n’est au final qu’un argument de vente, car la vraie essence de ce film, nous l’avons déjà abordée, il s’agit de la lutte pour la survie et la recherche d’un but qui aidera à endurer les épreuves en découlant. The Way Back n'est pas seulement un film sur les kilomètres parcourus, il s’agit avant tout d’une œuvre réfléchie, parlant des événements poussant un homme à aller de l’avant. Ainsi, lorsque l’un d’entre eux se bat pour retrouver sa femme, d'autres découvrent leur propre vérité sur le chemin. En conséquence, ce film réussit parfaitement dans son entreprise de méditation sur les difficultés de la vie. Son charme et son intelligence incontestables en font une œuvre incontournable de la carrière de Peter Weir, même si certains aspects quelque peu rebutants viennent parfois entraver la puissance du récit en l’empêchant d’atteindre les sommets qu’il aurait pu viser.


En somme, loin d’être un simple film de guerre, ou même un simple film historique, The Way Back est avant tout une œuvre qui parlera à tous les amateurs de voyage initiatique, de paysages grandioses et de réflexion sur une certaine vision du monde, loin d’être le meilleur ouvrage de Peter Weir, mais tout de même un film qui mérite le coup d’œil!

Schwitz
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le 17 mars 2017

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