Romance improbable sur fond de jeunesse égarée

A l’instar de Camille Redouble en 2012 et Guillaume et les garçons, à table ! l’an passé, on sait bien que les comédies trouvent un bel écho à Cannes et peuvent potentiellement bénéficier d’un bouche-à-oreille positif du festival jusqu’à la sortie national. En 2013, Cannes nous a révélé Guillaume Gallienne en tant que réalisateur, c’est à nouveau le cas ici avec Les Combattants, le premier film de Thomas Cailley qui trouve le ton juste entre romance, humour et catastrophe. L’histoire robuste d’une fille pas comme les autres et d’un gars fleur bleue. Rencontre aussi improbable que touchante.

Thomas Cailley est un diplômé de la FEMIS en cursus scénario qui n’a que quelques films à son arc en tant que scénariste. C’est par le biais de son premier court-métrage Paris Shanghai -récompensé d’une dizaine de prix à travers l’Europe- que le réalisateur puise la confiance nécessaire pour s’atteler à un projet de long métrage. Trois ans plus tard, il est la révélation de la Quinzaine des Réalisateurs et Cannes applaudit le premier travail d’un réalisateur dans la lignée d’un cinéma générationnelle à la Céline Sciamma ou Rebecca Zlotowski. Il faut dire que le réalisateur n’a pas hésité à revendiquer son film comme étant un film de personnages. A ce compte, Kevin Azaïs et Adèle Haenel sont véritablement les stars du film, cette dernière étant une nouvelle fois la révélation du festival puisqu’elle participait également à un autre film sélectionné, L’Homme qu’on aimait trop d’André Téchiné. On avait déjà eu l’occasion -justement- de la voir en 2007 dans le troublant La Naissance des pieuvres de Céline Sciamma.

Reprenant avec son frère l’usine de charpenterie familiale après la mort de leur père, Arnaud (Kévin Azaïs) rencontre brutalement Madeleine (Adèle Haenel) sur une plage. Une sorte de premier contact détonnant (et mordant) qui l’amènera par la suite à aller chez elle pour la construction d’une cabane. Une rencontre improbable qui sonne comme le début d’un périple inconscient pour ce garçon un peu fleur bleue qui suivra cette nana jusqu’à une formation pour les para-commandos, persuadée que « la fin » arrive. Fille brute, jamais sur la réserve, au visage figé et impressionnante de physique, elle n’existe plus que pour la survie et son image est plus proche d’un Bears Grylls au féminin que d’une « pute sur la piste de danse ». Autant fasciné que déconcerté par cette fille pas comme les autres, Kévin Azaïs est un simplet qui prend la vie comme elle vient, fait des trucs « qui ne servent à rien », et ne sait pas vers quoi se projeter hormis à trente centimètres derrière sa cible. Les Combattants, c’est l’histoire de deux personnages qui sonne comme un film de génération, celle de deux jeunes qui ne savent pas vers où aller et fantasment sur une apocalypse pour donner un sens à leur vie. Très belle métaphore de la désorientation d’une jeunesse qui ne souhaite pas une vie toute tracée mais idéalise un changement majeur où ils pourront pleinement s’épanouir. Ce qui est amusant, c’est que les adultes s’inquiètent mais laissent faire car ils ne savent également pas comment apporter la solution à ces esprits fougueux mais déboussolés. Les Combattants est également un film sur l’amour, cet éphémère amour estival qui rend les garçons naïfs au point de suivre les filles sans réfléchir, jusqu’à effectuer une formation commando sans entraînement. Plus le film avance, et plus cette romance prend des proportions physiques, plus charnelles jusqu’à cette scène terriblement sensuelle où les regards se croisent, les corps s’effleurent et où les souffles se font vibrants, une scène coupée du monde qu’on croirait tirée de la Genèse.

Mais Les Combattants, c’est aussi et surtout une comédie dans ce qu’elle a de plus absurde. Absurdité des situations, absurdités des dialogues, absurdités de la vie qui emmènent ces deux personnages dans des situations qui les dépassent et auxquelles ils réagissent avec une certaine naïveté. Thomas Cailley n’hésite pas à faire durer ces moments où les personnages ne savent plus quoi répondre, restent figés, le regard dans le vide, décontenancés de tout. Il est vrai qu’il n’y a rien de plus anormal que voir une fille emporter trois tuiles dans son sac à dos et plonger dans la piscine. Les dialogues sont fins et parfois tellement simplistes que ça en est drôle. « Tu fais quoi ? Rien ! Ça sert à quoi ? Rien » est une scène d’une telle candeur qu’elle en devient aussi contemplative qu’amusante. Les séquences lors du stage de commandos étant les plus amusantes, car on y voit les attentes de jeunes qui s’attendent à vivre le rêve « à la Call Of Duty » ou dont l’unique objectif est de travailler dans la « télécommunication ».

Dans sa seconde moitié, le film se fait davantage le récit d’une contemplation, d’un lieu unique isolé du monde où les deux tourtereaux vivront d’amour, d’eau fraîche et de renard. En dépit d’un rythme qui s’amenuise, Les Combattants devient fragile, physique et surtout se dirige doucement vers une scène apocalypto-cauchemardesque. On croit presque voir un Take Shelter (Jeff Nichols, 2012) à la sauce française. Une scène onirique bouleversante qui nous donnerait à croire que le film bascule bel et bien dans le fantastique. Le ton aurait pu devenir sombre et défaitiste. Il est finalement contrebalancé par les événements de la vie. Cette scène apocalyptique n’est considéré comme telle car elle se situe à notre niveau. C’est pour cela que le film fonctionne très bien car il se situe à la hauteur des personnages, jamais on ne les quitte. On ressent leurs frustrations, leurs joies, leurs peines, leurs peurs. On n’est rarement aussi proche de ces personnages.

Aidé par une musique d’électro envoûtante, Les Combattants est un beau film indépendant français, pur film de génération et de romance improbable. Le genre de film pour lequel Cannes ne pouvait pas rester insensible. Certaines longueurs joueront contre lui, le ton pourtant juste du film ne rassemblera pas autant les foules que ce qu’avait fait Guillaume Gallienne l’an passé. C’est un film qui trouvera cependant un bel écho, les plus cinéphiles répondront présent et salueront l’audace et la fraîcheur de ce réalisateur qui offre une comédie adolescente sensible, physique et terriblement romantique.
Softon
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le 20 août 2014

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Kévin List

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