Malgré les efforts de son équipe artistique et les marqueurs reconnaissables de son style, Cukor ne parvient pas à nous faire croire à son implication dans le projet. Saugrenu plutôt qu'intéressant, le film laissera les spectateurs les plus exigeants de côté, de même que les amateurs de grands musical narratifs des années 50.

De fait s'agissait d'un film de commande de la MGM, l'équilibre financier du studio était en péril depuis l'échec de leur précédent grand musical "La belle de Moscou", sorti au printemps 1957. Cette adaptation en comédie musicale de "Ninotchka" réalisée par un Rouben Mamoulian vieillissant, n'avait pas fonctionné au box-office et décida la MGM à ne plus faire de compromis. Ils choisirent Cukor pour la réalisation (il était sous contrat et ne pu refuser), chargèrent le scénariste James Patrick d'adapter un livre dont ils avaient précédemment acquis les droits (livre qu'il ne lut pas), avec des chansons de Cole Porter (lequel composa dans son coin sans échanger ni avec Patrick ni avec Cukor) et imposèrent le casting. Backstage musical se déroulant entre Paris et Londres dans les coulisses d'un spectacle de Pigalle, l'influence du récent "Un américain à Paris" est palpable. Sans surprise le résultat est loin d'atteindre l'intensité du précédent musical de Cukor, Une étoile est née, qu'il réalisait quelques années plus tôt avec, et pour, la fiévreuse Judy Garland.

L'intrigue s'ouvre sur un procès qui oppose deux artistes de music-hall, Sybil et Angele, car la première a publié un livre dont le contenu déplait à la deuxième. Un livre qui raconte leur année à Paris dans la troupe de Barry Nichols, danseur et producteur de spectacle, qui a monté un numéro intitulé "Les girls" tournant autour de lui et de trois jeunes femmes chanteuses-danseuses. Durant les mois que ce quatuor passe à Paris chacune des Girls tentera de séduire ou sera séduite par le charismatique producteur. Le livre publié par Sybil raconte plus particulièrement qu'Angele vivait une aventure avec Barry en cachette de son fiancé. Situation si inextricable qu'elle tenta de mettre fin à ses jours.

A partir de là le récit s'articule sur trois récits donnés à la barre successivement par Sybil (relatant la version de son livre) puis Angele (niant la version de Sybil et qui l'accuse, elle, d'avoir eu une aventure avec Barry) puis Barry (qui prétend n'avoir aimé que Joy, la troisième girls). Chaque récit aura donc un point de vue différent sur les évènements, quand bien même ils ne relatent pas exactement les mêmes faits. Ils présentent chacun un Barry amoureux d'une seule des filles, alors qu'il l'était sans doute des trois. Le film se termine alors que Barry rejoint sa femme, Joy, qui suspecte son mari d'avoir couché avec tout le monde tandis qu'apparait à l'écran un carton qui demande "What is the truth ?".

De fait c'est bien la question essentielle que pose le film, existe-t-il une vérité dans le vécu d'une histoire d'amour ? On pouvait rêver d'avoir là le "Rashomon" de la comédie musicale, film sorti en 1950 qui fit sensation aux Etats-Unis et reçut un Oscar d'honneur du film étranger en 1952. Cependant la narration reste beaucoup trop légère et superficielle pour que cela constitue vraiment un intérêt et soit plus qu'un gimmick à la mode. Une fausse touche de modernité. Car en définitive il existe bien une vérité, et tous les spectateurs la comprennent bien une fois arrivé à la fin, c'est que les trois girls étaient amoureuses de leur irrésistible producteur et que celui-ci a couché avec chacune d'entre-elle.

Le vrai sujet aurait pu/du être le caractère abusif, possessif, du producteur séducteur, au lieu d'être simplement une dispute entre femmes pour rétablir leur "honneur" aux yeux de leurs maris respectifs. Barry, qui affirmait avoir pour éthique professionnelle de séparer vie professionnelle et vie sentimentale, a menti aux trois femmes avant d'en choisir une pour épouse, et pourtant jamais son attitude n'est vraiment remise en question. Face à lui les femmes sont soient des menteuses embarrassées soient des amoureuses frustrées. Etonnant de la part d'un Cukor habituellement si respectueux de ses protagonistes féminins.

Pour autant le réalisateur semble bien s'amuser à faire varier l'interprétation de ses comédiens selon le personnage qui mène la narration. A l'image de Sybil, parangon de vertu dans son propre récit qui devient alcoolique manipulatrice dans celui d'Angele. Mais le scénario ne va pas assez loin dans la caractérisation et cela reste superficiel. Le fait qu'il ne se soit entendu avec deux de ses comédiens principaux, Gene Kelly et Mitzy Gaynor, n'y est sans doute pas pour rien non plus.

L'attention portée aux choix des décors, des costumes, des couleurs, témoignent de l'exigence artistique du studio et des collaborateurs de Cukor (Gene Allen et George Hoyningen-Huene en particulier). Il est amusant de voir les styles vestimentaires ou de coiffure de chaque femme changer en fonction de qui est le narrateur. Mais on s'étonne de la teinte majoritairement grise du film (apparemment un choix délibéré) qui n'est pas vraiment en adéquation avec la légèreté du propos. Les chansons quant à elles sont peu nombreuses et plutôt anecdotiques.

Le film fut un échec commercial, contribuant à l'effondrement de la branche musicale du studio. C'est de fait le modèle même du musical léger et clinquant "MGM" qui est en crise avec ce film, lequel semble ne plus supporter l'aspect industriel et anonyme d'une réunion de talent sous contrats qui ne travaillent pas réellement les uns avec les autres. Il est en décalage avec les succès parallèles des adaptations de Rodgers & Hammerstein, grands musicals narratifs dramatiques et spectaculaires, et annonce bien le crépuscule d'un genre qui régnait sur le box-office depuis les années 30.

Naoo
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le 27 janv. 2024

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