Film où les personnages perdent 300 litres de sang

"Les Incorruptibles" réalisé par un Brian De Palma au sommet de son art nécessiterait des centaines de pages de commentaires, de décryptage, tant l'oeuvre de ce cinéaste - lorsqu'il ne réalisait pas des daubes - est puissante, formellement riche, complexe et maîtrisée..
D'ailleurs internet fourmille d'analyses plans par plans du film, tout à fait passionnantes.

C'est logique puisque De Palma a toujours accordé un rôle central à la caméra, tantôt catalyseur des émotions des personnages, tantôt elle-même personnage à part entière, deux conceptions que l'on retrouve parfois même confondues dans ce film.

Ce qui me conforte pleinement dans l'idée que De Palma quoiqu'on en pense est l'un des plus grands réalisateurs, puisque ses oeuvres sont disséquées, analysées dans tous les sens et moindre recoins, ce qui traduit nécessairement leur richesse intrinsèque.

"Les incorruptibles" est un modèle de ciselage scénaristique, pas une réplique en trop, on va droit et directement à l'essentiel.

Eliott Ness, interprété avec classe par Kevin Costner qui deviendra bankable à la suite de ce film, veut faire arrêter Al Capone, et ce par tous moyens.
Mais confronté à un système corrompu jusqu'à la moelle où il ne peut faire confiance à personne, et où il enchaîne déboires, échecs et déconvenues, il va former une équipe de défenseurs de la loi hors-pairs et totalement "incorruptibles" :

L'équipe se forme avec notamment deux acteurs clés : Sean Connery en vieux papy qui donne des leçons de vie un peu à tout le monde, et les débuts d'Andy Garcia en super tireur d'élite, qui à l'époque n'était pas gros et fatigué, mais jeune, dynamique et prometteur. Dommage que sa carrière n'ait jamais véritablement décollé.

On voit déjà émerger un premier problème : la simplicité excessive du scénario.
En allant droit à l'essentiel, il spolie les personnages de leur richesse, et les réduit à de simples figures strictement emblématiques.

Finalement, il est assez difficile de pleinement s'y attacher ou de ressentir une quelconque empathie, et ce même durant les séquences hautement tragiques d'une classe absolue.

Enfin, les quelques rares séquences d'intimité de Kevin Costner sont un peu ratées, et les dialogues qu'il partage avec sa femme - une débile qui se contente de sourire à la caméra - et sa petite fille se résument à des "bisous d'esquimau" "bisous papillon"...

L'autre défaut du scénario, et de la mise en scène de façon générale, c'est le manque de continuité.
En fait, le film est constitué d'une série de différents morceaux de bravoure absolument fantastiques mais qui se suivent de façon mécanique sans subtilité.

Parmi ces moments de bravoures inoubliables, il y'a la fameuse attaque à cheval digne des plus grands westerns, la dissertation d'Al Capone (De Niro génial dans le rôle) sur le rôle d'une équipe en baseball, les représailles de Capone avec le meurtre du comptable et de Sean Connery - séquence qui démarre avec un somptueux plan-séquence en caméra subjective montrant le point de vue d'un tueur qui essaye d'infiltrer l'appartement de Connery avant de le descendre, à la suite de quoi Connery perdra approximativement 10.000 litres de sang tout en rampant, cf le manque de subtilité à ce titre -, et l'acte final qui se divise en deux séquences cultes, le duel final Frank Nitti/Ness et la fameuse séquence dite du "Cuirassé Potemkine".

Dans cette scène, Eliott Ness veut intercepter le comptable de Capone qui s'apprête à faire les voiles en train, pour cela il se planque en haut des escaliers de la gare majestueuse où vont se dérouler tout un tas d'événements.

Le comptable va arriver escorté par plein de gangsters armés jusqu'aux dents, une femme et son bébé dans un landau vont tenter de monter les escaliers, tandis que des marins papillonnent dans le coin.
Ces marins improbables constituent d'ailleurs un hommage hautement sympathique au film muet "le cuirassé potemkine" d'Eisenstein.

Lorsque Ness déclenche les hostilités et tire sur l'un des nombreux gangsters, la femme s'écroule et laisse échapper son landau dans les escaliers.
Toute la performance est de voir Ness tenter de le rattraper pendant qu'il essuie les tirs ennemis, que les marins qui n'ont rien demandé à personne s'en prennent plein la gueule, et qu'il dessoude les gangsters.

Bref formellement c'est incroyable, hallucinant, une séquence qui normalement devrait durer 5 secondes voit sa durée croître exponentiellement grâce à un usage absolument fou du ralenti, des plans et du montage.

Outre De Niro, chez les méchants, Frank Nitti son exécutant est interprété avec brio par un acteur au physique livide particulièrement inquiétant, un certain "Billy Drago" qui a son heure de gloire dans la dernière grande scène du film, où De Palma use et abuse pour le bonheur du spectateur cinéphile des plongées/contre-plongées, et autres zooms pour illustrer les rapports de domination entre les personnages.

En fin de compte, comme en vrai, Eliott Ness gagne et parvient à confondre Al Capone de façon totalement conne et sans rapport avec le trafic d'alcool, la fraude fiscale.

Le film se conclut avec la fin de la prohibition et un échange savoureux entre Ness et un journaliste qui lui demande ce qu'il va bien pouvoir faire désormais?

"J'irai boire un verre" lui répond-il.

Ce qui m'avait d'ailleurs pas mal perturbé lorsque j'ai vu ce film quand j'étais petit, puisqu'il me paraissait aberrant que les gangsters soient des personnes vendant simplement de "l'alcool".

Au final, les incorruptibles est un très beau film, mais il laisse un goût d'inachevé en raison de son scénario trop simple et sa structure trop mécanique. Mais cela reste un énorme plaisir pour les yeux, et pour les oreilles!

J'ai oublié de mentionner la musique magistrale d'Ennio Morricone, typique de son style qui vise à attribuer à chaque personnage un thème personnel clairement défini.
Le death theme est à ce titre déchirant de beauté.
La musique de la bande des incorruptibles est épique à souhait et rappelle les grands westerns, notamment durant la magnifique séquence de l'attaque à cheval.

Le dernier plan du film cumulant cette musique extraordinaire, une avenue incroyable et gigantesque du vieux Chicago, une photo magnifique, et un travelling aérien parfait, illustrent pleinement la maîtrise formelle absolue du film et sa très grande classe.

Bref, les incorruptibles n'est pas un grand film, mais reste néanmoins une très belle oeuvre.
KingRabbit

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