Une histoire juive racontée par un juif !

Defiance est un film américain, mais c’est avant tout un film juif… Si on s’attend à une reconstitution réaliste de l’histoire des frères Bielski, on en ressortira déçu car ce n’est pas l’approche choisie pour raconter cette histoire. Defiance est bourré de facilités scénaristiques, modifie et simplifie pas mal de choses, il n’y a qu’à voir la sortie du ghetto, vraiment rien de plus simple ! Et on peut multiplier les exemples, il n’y a qu’à lire les critiques sur le site ! Mais voilà, l’histoire raconte autre chose …


Edward Zwick est juif et il est donc marqué par sa culture et son histoire. Ce qu’il met en scène ici c’est une histoire vraie : quatre frères biélorusses juifs, ont sauvé 1200 juifs en vivant avec eux dans la forêt qu’ils connaissaient très bien. Ils ont ainsi réussi à échapper aux nazis. Mais cette histoire vraie est racontée sur la trame du récit biblique de l’Exode. Une histoire qui fonde l’identité juive et dont les grands moments sont : la sortie d’Égypte où les israélites étaient esclaves, le passage de la mer rouge, la traversée du désert pendant 40 ans puis l’entrée dans la « terre promise ». Cette histoire est marquée par le manque de foi en Dieu et en son envoyé Moïse. Ce manque de foi se traduit par le « murmure », terme biblique qu’on pourrait traduire par « râlerie » en langage de notre époque ! Ce murmure se manifeste tout particulièrement au sujet de la nourriture, le peuple se plaint de ne pas manger à sa faim ou de n’avoir qu’une nourriture insipide, mais derrière la plainte de la nourriture, c’est la plainte envers Dieu qui s’exprime. Et les israélites de s’exclamer : on aurait mieux fait de rester en Égypte, on était esclave mais au moins on avait une nourriture abondante ! Cette histoire que je viens de retracer à très grands traits est l’arrière plan du film Defiance.



  • Ici, Tulvia (Daniel Craig), le frère aîné Bielski, est présenté comme un nouveau Moïse, c’est d’ailleurs dit explicitement. Comme Moïse c’est lui qui a fait sortir les juifs, non pas de l’Égypte, mais du ghetto alors qu’ils ne demandaient rien ! Comme les israélites dans le désert, les juifs dans la forêt se plaindront : pourquoi nous as-tu fait sortir du ghetto, on aurait mieux fait d’y rester !

  • Ici pas de désert, mais une forêt tout aussi hostile. Si les juifs n’ont pas à affronter la chaleur et le manque d’eau, ils ont à affronter le gel.

  • l’esprit querelleur et chicanier est mis en scène à de nombreuses reprises et bien sûr cela tourne autour de la nourriture comme dans le récit biblique, mais cet esprit ce manifeste également dans la façon défaitiste et négative de se situer : « On serait mieux au ghetto ! (…) On a rien à manger (…) on n’a pas d’armes ! » répondent-ils à Tulvia qui les porte à bout de bras et les exhorte à patienter, à se battre, à se défendre. Le murmure est dirigé également contre le chef. Dans le désert, les israélites remirent en cause l’autorité de Moïse, ici des membres du groupe remettent en cause l’autorité de Tulvia et sa capacité à être à la hauteur de la situation.

  • les israélites étaient constitués d’un ramassis de gens très divers et ne se sentant pas particulièrement liés les uns aux autres. Ici également, ce sont des juifs venant d’horizon sociaux et culturels bien différents. Ils vont devoir apprendre à faire « communauté » pour survivre.

  • Une dernière séquence renvoie très clairement au récit de l’exode, c’est le moment où le groupe se retrouve face au marais, tandis qu’ils sont poursuivis par les nazis, comme les israélites se sont retrouvés coincés au bord de la mer rouge tandis que les égyptiens les poursuivaient. A ce moment là, Tulvia est accablé par le découragement comme le rapporte la tradition au sujet de Moïse. Si dans le récit biblique, ce qui est illustré c’est le manque de foi en Dieu, ici comme à travers tout le film c’est le manque de foi tout court ! Car parler de foi, c’est parler de confiance. Avoir la foi, c’est avoir confiance. Or ici, comme dans la Bible les personnages manquent de foi et s’enferment dans la négativité, la plainte stérile et la démission. Tandis que Tulvia se bat pour qu’ils gardent la foi : foi en la vie, foi en eux-mêmes, foi en la possibilité de s’en sortir. Mais à ce moment de crise ultime, lui aussi « démissionne » et c’est son plus jeune frère, Asaël, qui redonne courage à tout le groupe par son discours enflammé :



Les soldats arrivent. Dieu ne séparera pas ces eaux. On le fera. Pas par un miracle, mais ensemble, avec notre force. On utilisera nos bras



Dans cette scène, Asaël représente le jeune Josué. Dans le récit biblique c’est ce personnage qui a fait entrer les israélites dans la terre promise et non Moïse qui a connu une défaillance dans sa foi. Asaël expose donc son idée. La manière dont le groupe traversera ces eaux est hautement symbolique et une formidable image de foi ! Foi dans la vie plus forte que tout, qui donne de trouver des chemins là où spontanément on ne voit qu’une impossibilité et une impasse ! Il n’y a pas de vie sans foi ! Que cette foi ait comme objet Dieu, et / ou les autres, et / ou soi… C’est ce qu’illustre toute cette histoire.
A noter que la mention des "bras" dans le discours d'Asaël est très importante. Car dans le récit de l'exode que les juifs se transmettent de générations en générations, il est dit que Dieu a sauvé son peuple par "la force de son bras", mais ici ce seront des bras humains liés les uns aux autres qui conduiront au salut! Superbe image et superbe relecture de l'histoire biblique!


Ainsi l’arrière-plan biblique est présent constamment à travers l’histoire de Defiance et à travers les dialogues. C’est cet arrière-plan qui éclaire cette histoire : miroir de la perception que les juifs ont d’eux-mêmes : peuple chicanier, querelleur et sans foi. Sans cette clé de lecture on risque fort d’être déçu par ce film comme j’ai pu le constater à la lecture des diverses réactions sur le site.

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le 14 sept. 2022

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abscondita

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