Les Maîtres Fous montre un processus de danse cathartique, le rituel des Haouka, se passant près de la ville d'Accra, au Ghana. « Venus de la brousse aux villes de l'Afrique Noire, de jeunes hommes se heurtent à la civilisation mécanique. Ainsi naissent des conflits et des religions nouvelles. Ainsi s'est formée, vers 1927, la secte des Haouka.»
Ces Ghanéens sont dans le spectacle (de la civilisation occidentale coloniale qui a tant perturbé leurs vies), pour retrouver pied, l'équilibre, la force d'être un pion social ; pour retrouver une fierté. Jean Rouch voulait capter cette énergie. Par chance, comme le commentaire le dit, ce sont les prêtres eux-mêmes qui ont demandé à ce qu'on les filme, processus final de ce regain de fierté (pour autant, Rouch n'a pas eu accès à tout, ils lui ont caché certaines choses...).

Filmant en plans brefs (nécessité due au fait que les nouvelles caméras portatives avaient une autonomie limitée), avec un montage effectué directement à la prise de vue (par respect pour la vérité de l'événement), Jean Rouch accordait beaucoup d'importance à la prise de son, qu'elle soit en direct (il est de ceux qui ont inventé le « cinéma-direct », forme de documentaire rendue possible avec l'avènement de caméras plus légères et surtout munies de magnétophones intégrés) ou en post-synchronisation (les voix-off étaient enregistrées de sorte à ce qu'elle soit physiquement au même niveau que ce qu'on voit, Jean Rouch enregistrant son commentaire face au film projeté). Le son a pour lui le pouvoir de donner un poids, une présence, un supplément de réel.

Sans compter que la musique joue évidemment un rôle central dans ces rites, apportant l'énergie et le rythme nécessaire à l'entrée en transe, et portant le spectacle dionysiaque tel un chœur de tragédie grecque célébrant les forces chaotiques et archaïques du monde (comme le décrit Nietzsche dans sa Naissance de la Tragédie). Au Ghana, apparemment, ils ont eu la chance de ne pas avoir de révolution rationaliste portée par des avatars de Sophocle, Euripide ou Socrate ; ils peuvent à loisir s'abandonner dans les dithyrambes, dans un éloge intense de la folie, au point de communier avec...

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le 5 févr. 2012

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