Certains films sont adossés à des livres, et certains livres sont adossés à une documentation exhaustive ou une expérience réelle. H.M.S. Défiant, film parfaitement étonnant, est le fruit de ce double gage de sérieux. Un fruit aussi beau qu'étrange, présenté au milieu d'une épicerie fine anglaise, perdue dans le grand supermarché hollywoodien.


Car le film happe son spectateur dès ses premières images. Tout type de spectateur d'ailleurs, comme peut en témoigner le plus jeune de mes fils (11ans), qui n'eut comme faiblesse que de passer devant l'écran au moment où l'histoire débutait.
Cette ouverture se concentre sur "la presse" (ou press gang), système aussi expéditif que terrifiant, qui consistait à remplir les bateaux en faisant le tour des tavernes le soir, pour un embarquement et un changement de vie radical le lendemain matin.


Et une fois la mer prise, nous ne reviendrons plus à terre.
Dans cet échantillon de civilisation engoncée entre trois ponts et quatre niveaux, le mélange de vie quotidienne et de tensions sociales est comme partout ailleurs: permanent. Une des plus grandes qualités du film est de retranscrire le trivial avec la même intensité que l'exceptionnel.


Il y a d'abord ces matelots qui ne supportent plus les conditions d'exercice de leur fonction, et pas seulement ceux qui découvrent de but en blanc la vie maritime et ses multiples plaisirs. Les hommes aguerris, en chevilles avec les "marines" (soldats embarqués qui ne participent pas aux tâches liées à la navigation) et même un ou deux officiers, préparent leur pétition et attendent le bon moment.
Car ce qu'ils veulent réellement, c'est éviter la mutinerie. Leur combat se situe entre autre contre l'avarice de leur employeur: la marine.
Les officiers le savent: c'est en mer qu'il est le plus compliqué de résister aux vagues de protestations.


C'est que ces hommes ne sont pas tous stupides: certains d'entre eux ont décelé aux plus postes de commandement une faille qu'ils comptent exploiter. Parce que tout en haut, se joue une partie d'échec entre le capitaine Crawford et le lieutenant Scott-Padget, entre deux conceptions radicalement différentes de l'autorité, et deux aspirations opposées concernant l'avenir, une ambition consumante chez le second (Dirk Bogarde routinièrement surprenant), une fin de carrière bienveillante chez le premier (Alec Guinness banalement admirable). Et aucun, malgré des retournements de situations assez forts, ne va lâcher prise.
Devoir, honneur, calculs, considérations personnelles, compréhension du réel et volonté de survivre vont donc en permanence s'affronter en un combat aux lignes brumeuses et à l'issue indécise.


La conclusion est scientifique: quand on embarque autant de qualités en si peu d'espace, le résultat ne peut être qu'admirable. Et quand on se dit que les cinq dernières minutes, peut-être les plus faibles du métrage, ne viennent même pas gâcher l'ensemble, c'est qu'on est sûr de tenir quelque chose de particulièrement consistant. Un truc qui résiste aux démâtages insolents des superproductions et aux boulets de canons de la critique. Bref, une embarcation qui tient le gros temps.

guyness

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