Les Neiges du Kilimandjaro débute comme débuterait un résumé de l'œuvre de Guédiguian : Marseille, son port, le soleil omniprésent, et le monde ouvrier. Dans ce dernier, une restructuration sociale, et déjà l'insidieux se présente : la caméra se concentre sur des visages, inquisitive, ne faisant preuve d'aucune distinction morale, alors que des noms sont tirés d'une boîte : non plus la crainte du hasard, mais le hasard de la crainte. Deux notions qui parcourent le film, pas toujours là où il devrait être, comme si Guédiguian se hasardait, dans cette histoire somme toute classique de vol à main armée fait au domicile d'un couple de « petits bourgeois » – comme ils se définiront eux-mêmes dans le film – par l'un des nommés sommairement dans le liminaire, et conséquences personnelles et sociales qui s'ensuivent, à un étrange film choral, où les protagonistes semblent être trop à leur place – toute la partie post-agression où victime, agresseur et la famille de ce dernier se croisent et s'entrecroisent sans se (re)connaître jusqu'à se rejoindre autour d'un concept universel, le comics, est assez édifiante à ce niveau.

Avec ce mélange pas si hasardeux, on pouvait donc craindre le pire, une sorte de Paris du Sud avec sa bonhomie difforme : ce serait oublier que Guédiguian est un vrai metteur en scène, et que le film est parcouru de jolis moments : la séquence de l'agression en elle-même est à mi-chemin entre la pureté et la bassesse morale, attendue dans son déroulement mais réussissant à nous surprendre comme une sorte d'aparté portant atteinte irrémédiablement au déroulement de l'œuvre. Le sens du détail du réalisateur fait mouche, dans les attitudes des deux cambrioleurs et dans celles des agressés, dans le placement des objets, dans les codes des cartes de crédit énumérés dont on devine ce à quoi ils se rapportent, en disant long sur les personnages – sens que l'on retrouvera dans tout le film, même si cela lui donne parfois le sentiment d'une publicité pour Cacolac ; regrettons cependant que, pour un film autant porté par les dialogues, Les Neiges pêche par absence de cinématographie, se contentant d'un strict naturel là encore adapté mais qui aurait gagné à plus de verve.

Le film en général pêche par manque de geste cinématographique, se contentant assez souvent de n'être qu'un manifeste pour un message convenu (la fin, affreuse, dévoile la morale de sa fable sans équivoque, étouffant le spectateur dans la lourdeur de son procédé), et par manque d'audace en général : les évènements attendus ne se font pas attendre, les dialogues prévisibles s'exposent sans grande subtilité. Et pourtant, le charme opère, et l'on se sent dans ce Guédiguian comme dans un refuge, développant un plaisir simple derrière ses arabesques boursouflées, une joie de voir dans les moments plus malins que d'autres, quelque chose que l'on n'avait pas vu chez le réalisateur depuis des années. Une joie simple présente dans le film autour de ses barbecues et de ses pastis (fléau habituel du cinéma français), et aisément transmissible (bien plus rare) : parfois, il suffit de cela pour faire la différence entre les croûtes et les vrais films.
BiFiBi
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le 26 mai 2011

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