Let It Be
7.4
Let It Be

Documentaire de Michael Lindsay-Hogg (1970)

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Let it Be, Michael Lindsay-Hogg, Grande-Bretagne, 1969, 1 h 21

Le chant du cygne des Beatles, voilà ce que représente le projet musical qui aboutit à l’album et au documentaire « Let it Be », pensé à l’origine pour retrouver l’essence d’un groupe de plus en plus divisés par ses individualités. Ses quatre membres sont alors demandeur d’une certaine liberté créatrice devenue incompatible. Si entre son tournage et sa sortie les Beatles enregistrent deux albums de plus, comptant parmi leurs compositions les plus influentes, ils se sont également séparés. C’est donc un documentaire sur l’intimité d’un groupe qui n’est plus, qui sort au début de l’année 1970.


Très loin de l’esprit déjanté de leurs deux premiers films et des délires psychédéliques des deux suivants, « Let it Be » présente de jeunes hommes matures, prenant très au sérieux leur musique et leur image. L’un des éléments qui montrent l’évolution du groupe, et les nouveaux horizons perçut par ses membres, se décèle dans leurs tenues. Plutôt habitués à porter un « uniforme » Beatles, John, Paul, George et Ringo sont ici présentés dans la vie de tous les jours, avec différents vêtements. Ce détail renseigne sur la rupture qui se crée entre des membres de plus en plus attirés par des sensibilités contrastées.


Si le document que constitue encore aujourd’hui ce film demeure inestimable, force est de constater que c’est tout de même un petit peu court. Seulement une petite heure vingt est proposée, sur les centaines et les centaines d’heures de tournages. Il existe néanmoins un premier montage de plus de trois heures, mais il comprenait trop d’éléments compromettants pour les musiciens. Il fut décidé de couper dans la pellicule, pour aboutir finalement à une œuvre tronquée, pour ne pas dire censurée. Avec la sortie de « The Beatles : Get Back » en 2021, une nouvelle lecture de cette expérience à pu voir le jour, et en effet, en 1970, avec la rupture à chaud, la volonté d’atténuer apparaît compréhensible.


Sans réelle construction narrative, le métrage se contente de présenter les Beatles dans leur intimité créatrice, avec tous le processus qui part de quelques notes pour terminer sur la piste d’un album. Il est parfois difficile de savoir où va le film, et ce qu’il veut vraiment illustrer, au-delà d’un aperçu privilégié de la collaboration de quatre artistes au talent inestimable. Les multiples changements de direction pendant le tournage, l’accumulation de projets avortés et d’idées jetées à la poubelle, trouvent une conclusion dans le concert improvisé sur le toit de leur studio en plein Londres. Ces errements expliquent une tonalité hasardeuse, qui reflète fidèlement cette période de creux, au cœur d’un groupe en train d’imploser.


Parfois bordélique, l’enchainement des séquences se révèle anarchique, filmé sans vraiment de style, avec par moment des mises en scène un peu foireuses, « Let it Be » captive autant qu’il questionne. En effet, le film mise absolument tout sur l’aura de son quatuor star, comme un projet conçu à l’arrache (ce que confirme le documentaire de Peter Jackson en 2021). Il n’a pas vraiment de finalité ni d’objectifs bien définis, et par défaut se mut juste en une vidéo proche d’un produit fait maison. Avec en sujet principal la création du dernier album du groupe le plus emblématique du rock made in 60’s.


Les membres, voilà la centralité de ce film, alors oui bien sûr, ils demeurent au centre de tous leurs projets cinématographiques, mais en général, leurs productions sont scénarisées et pensées en amont. Ici, leur façon d’être sert de fil conducteur, et cette sensation de flottement qui peut parcourir le visionnage n’est en fait que l’expression de leurs perfectionnisme dans la recherche artistique. En comparaison à « A Hard Day’s Night » où les Beatles interprétaient des versions alternatives d’eux-mêmes, cinq ans plus tard, ce sont les vrais Beatles, pas des rôles, qui apparaissent dans cette production.
Un regret se crée par l’absence des nombreuses reprises faite par le groupe durant leurs sessions de création. C’est là l’un des revers de « The Beatles : Get Back » qui apparaît forcément comme une version augmentée, et beaucoup plus immersive que ce court documentaire. En effet, les influences principales des Beatles sont très peu abordées ici, à l’instar de Billy Preston, relégué en arrière-plan, sans plus d’explication sur sa présence à l’écran. Or, il y a là une réflexion capable de replacer les Beatles dans leur contexte, à la fois historique et musical, ce dont s’abstient le film. Ce dernier se repose finalement un peu trop sur la notoriété du groupe et peu sur ce qu’il incarne et représente comme entité.


L’ADN des Beatles vient des musiques noires américaines, principalement le blues, né dans les champs de coton du Sud des États-Unis, au temps de l’esclavage. Mais lorsque les Beatles débarquent en 1963, aux États-Unis, les Afro-Américains n’ont pas encore de droits civiques, et si l’esclavage n’existe plus sous cette forme, il demeure en quelque sorte maintenu par la ségrégation. Loin d’une réappropriation culturelle intéressé, l’expression de leurs influences importent en Europe une musique et des artistes, qui dans leurs propres pays ne sont pas considérés comme citoyens. Cet aspect des Beatles à un impact monumental sur la culture musicale de l’Europe, et ouvre la voie à la révolution culturelle de la seconde moitié des années 1960.


Le fait que Billy Preston ait posé son empreinte sur l’album « Let it Be », apparaît tout à fait naturel et comme un juste retour des choses. C’est la passion pour un art qui parle, avant toute démarche mercantile, projet économique et histoire de thune en générale. Il est donc vraiment dommage que le documentaire n’aborde pas du tout cet angle, pourtant omniprésent lors de leurs sessions d’enregistrement. Mais ce n’est pas le seul élément à être passé sous silence, puisque le film minimise énormément les tensions palpables au sein du groupe. Si certains délires en impro’ s’avèrent présents, il est regrettable d’avoir orienté la forme pour éviter d’aborder les sujets qui fâchent. Cela soustrait forcément une part d’authenticité à la démarche, qui certes n’était pas prévue pour devenir ce documentaire. Il y avait cependant là l’occasion de disséquer le crépuscule d’une formation déjà mythique au moment du tournage.


« Let it Be » est vraiment à regarder avec le contexte de l’époque en tête, et adopter le regard de l’audience des années 1960. Bien entendu, avec la sortie de « The Beatles : Get Back » le film perd un certain intérêt, du fait que son réalisateur, Michael Lindsay-Hogg, ne propose pas grand-chose, face à la manne inestimable de sons et d’images qu’il a en réserve. Ce n’est certes pas que de son fait, puisque les membres du groupe ont influencé le résultat final, mais c’est un petit peu un aveu d’échec de la part d’un cinéaste, clairement dépassé par la charge qui lui incombe.


Reste un documentaire dont la conclusion en forme d’apothéose, avec le concert sur le toit des studios Apple, justifie encore aujourd’hui le visionnage. Ne serait-ce que pour réaliser à quel point ce projet devint embarrassant, et sorti un peu n’importe comment, avec une exploitation en salle chaotique, suivit de peu de rediffusions, ainsi que des éditions VHS, puis Laserdisc et DVD des plus tardives. Pendant longtemps, « Let it Be » est apparu comme un embarras pour les membres survivants du groupe. Mais heureusement, avec le temps les maux s’atténuent et les rancœurs aussi. À l’orée de leurs 80 ans, après avoir refusé que, de leur vivant, sorte le véritable contenue enregistré en janvier 1969, Paul McCartney et Ringo Starr ont finalement accepté de le rendre à disposition. Cette aventure incroyable devient ainsi accessible à quiconque y trouvera un intérêt.


Le plus bel hommage à « Let it Be » demeure ainsi « The Beatles : Get Back » , qui plus qu’une alternative, s’impose aujourd’hui en complément indispensable. Il permet de mieux comprendre ce documentaire, ce qu’il signifie lors de son tournage en janvier 1969 et sur son époque à sa sortie en janvier 1970. Il manque toutefois au film une véritable orientation et un vrai propos, qui apparaissaient pourtant à portée de main : découvrir John, Paul, George et Ringo tels qu’ils étaient vraiment. Avec leurs talents, leurs caractères, leurs sensibilités, leur humour, leurs défauts, plus d’une qualité et un amour inconditionné pour la musique.


Des musiciens, certes, mais des hommes avant tout.


-Stork_

Peeping_Stork
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le 10 févr. 2022

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